Décembre 2019

Le vent frais se jouait des courtes mèches blondes de Hua Feng et s’amusait à glisser contre la peau laissée presque à nu là où ses cheveux étaient noirs. Décembre était peut-être généreux en température cette année, mais ça restait décembre et Hua Feng ne portait rien d’autre qu’un manteau en cuir présentement. Certes, il était doublé. Mais le vent s’était levé de façon impitoyable et il pouvait être heureux que de la pluie ne s’en mêle pas. Du moins, pour le moment. Il était debout, immobile, ses mains nues dans ses poches de manteau pour les tenir au chaud, son regard grave posé sur ce qui avait été une croix qu’il était venu voir de ses propres yeux avant qu’elle soit précipitamment retirée, très tôt ce matin. La nuit était tombée, maintenant et Hua Feng était revenu sur les lieux, discrètement. Espérait-il prendre la main dans le sac celui qui avait commis cette atrocité ? Peut-être. Mais il n’avait guère d’espoirs. Il croyait plutôt qu’il trouverait peut-être quelques indices qui le guideraient dans la bonne direction...

Quand il entend les pas, Hua Feng se demande un instant si c’est le vent qui a mené jusqu’au nouvel arrivant son odeur. Parce que ces pas, il les attend affreusement tard. Son ouïs d’humain était handicapé par les rafales froides, mais pas que ça. On avait été très discret. Il aurait parié sur la présence d’un vampire, ce qui lui fait tourner rapidement la tête vers la droite… et c’est le regard de Fan Yuan qu’il croise.

« Yuan. », murmure-t-il simplement. Il réalisait à ce moment qu’il avait le souffle un peu court. Ses pupilles s’étaient peut-être dilatées. Il n’avait pas aimé être pris par surprise comme ça, mais au-delà de la fierté, qui n’était pas du genre à l’étouffer, c’était la crainte de s’être mis en danger qui avait vite pris le dessus. Ça lui arrivait rarement. Mais c’était si glauque de se trouver ici, même pour lui. Ça lui donnait un peu froid dans le dos… « Un membre du Conseil a été désigné pour venir prendre quelques renseignements, ou tu le fais de ton propre chef ? »

Son regard quitte presque à contrecœur le beau visage tout aussi grave que le siens présentement. Il en revient à cet endroit, juste devant eux, où une femme avait été retrouvée sans vie et dans une position terrible. Symbolique. Mais on ne devrait jamais utiliser la mort comme symbole.

« Tu n’as rien entendu du côté des tiens ? », demande-t-il finalement, son regard baissant juste assez pour voir le sang qui s’était amassé là où la croix avait été plantée et que personne n’avait encore pu rattraper, semble-t-il. Le temps et la pluie feraient le reste. Pluie qui allait probablement finir par tomber ce soir, d’ailleurs, vu le temps. « Nous ne possédons pas encore d’informations non plus. Ça a pris tout le monde par surprise… »

Il n’aurait pas communiqué cette information avec le premier venu, mais même si comme il l’avait dit la dernière fois qu’ils s’étaient vu, ils n’étaient ni amis, ni ennemis, il n’en restait pas moins qu’ils pouvaient collaborer. Et cet événement semblait être de ceux qui les poussent dans cette voie.

« Je suis venu ce matin, très tôt. », ajoute-t-il lentement. La façon dont « très tôt » avait été prononcé, presque de façon éteinte, prouvait qu’il était arrivé « trop tôt » pour son bon vouloir. Il avait beau ne pas être monsieur tout le monde, il n’était pas insensible à tout ça. Avec un peu de répugnance, il sort son cellulaire de ses poches. Il pianote pour le déverrouiller, puis ouvrir les dernières photos prises. Puis, il le tend à Yuan. « Tu y verras peut-être quelque chose que je n’ai pas remarqué. »

Lui, il avait assez contemplé ces photos pour toute une vie, même s’il allait sûrement devoir s’y remettre à un moment.

Il avait fallu qu’il vienne voir les choses de ses propres yeux, évidemment. Pas tant « pour le Conseil » parce que chacun de ses membres ferait selon son bon vouloir, venant sur place probablement par eux-mêmes… Mais plus pour se forger sa propre opinion. La presse s’en donnait à cœur joie et les chasseurs aimaient à scander qu’il ne pouvait s’agir que de l’œuvre d’un vampire. Ce qu’il en pensait ? Encore rien pour le moment. C’était sans doute un peu pour ça qu’il avait décidé de venir voir… Bien sûr il savait que la croix comme la victime avaient été retirées, emmenées là où les hommes de la police scientifique pourraient les analyser… Mais ça ne l’empêcherait pas de mieux visualiser les contraintes et les possibilités. Savoir si oui ou non cela ne pouvait être que l’œuvre d’un des siens. En avoir le cœur net. Bref.

Rapidement, il avait pu constater qu’il n’était pas le seul à avoir fait le déplacement. Un parfum bien connu était venu flotter jusqu’à ses narines frémissantes. Quelque chose d’épicé… Mais de discret. De masculin sans vouloir écraser de virilité l’odorat du monde autour comme si l’homme qui portait ce parfum avait quoi que ce soit à prouver.

Xiao Hua Feng. Le monde semblait toujours petit lorsqu’il s’agissait de tomber sur lui. Quoi qu’il en soit, ce soir Yuan l’avait visiblement surpris. Il pouvait presque le sentir et à défaut le voir… Ou plutôt le deviner… Ses muscles tendus sous ses vêtements… Sa silhouette presque agrandit d’un centimètre ou deux sous l’effet humain et impossible à retenir de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf face à la menace.

D’un mouvement de la tête il salut Hua Feng, s’approchant tout en restant à quelques mètres, répondant laconiquement :

« De mon propre chef. »

Le regard de Yuan suit celui de l’autre homme jusqu’à la tâche sombre dont il sentait encore l’odeur sous celle des produits d’analyse… Et ça le laisse songeur, d’ailleurs.

« Rien si ce n’est la même surprise que chez les hommes. »

Peut-être pas le même effarement pour le même dégoût… Mais tout de même. Ça avait été très marquant et même dans les rangs des vampires, ce meurtre avait choqué. L’autre chinois lui confirme d’ailleurs que la stupeur et les interrogations régnaient, sans que la moindre réponse ne semble pour le moment vouloir montrer le bout de son nez.

« Tu soupçonnes un des miens ? »

Son regard en revient au membre de l’Ordre, attendant de croiser son regard automnal qu’il avait déjà connu bleu il y a quelques années. Ça ne lui allait pas si mal ce petit excès de mode à l’époque. Quoi qu’il en soit lorsqu’il l’accroche, son propre regard fourchant un bref instant sur ce petit grain de beauté qu’il avait sur la joue, Yuan assure :

« Je ne t’en tiendrais pas rigueur. Tout le monde le pense. Je crois que même chez les vampires on se soupçonnent. Pas forcément à tort. »

Pourtant, à propos de ses remarques :

« La presse n’a pas fait mention d’une exsanguination ou d’une trace de morsure. Vous avez des contacts là-bas ? »

Au sein de la police… Ou du laboratoire en charge des analyses.

« Je sais que l’absence de morsure ne signifie pas que les miens sont innocents mais tu comprendras qu’à nos yeux ça reste du gaspillage. »

La vie humaine avait sa préciosité, même si pas pour les mêmes raisons que les hommes. Et pour en revenir au fait que Hua Feng semblait encore très marqué par le spectacle de ce matin :

« J’imagine que l’image était très dure. »

Rien ne vous préparait jamais vraiment à faire face à ce genre de spectacle. Ni les massacres, ni le temps… Ni même en voir quotidiennement pour une raison ou une autre. A moins d’être sociopathe disons.

Et puis philosophant soudainement brièvement sur le drame, Yuan partage librement quelques-unes de ses pensées, parce qu’il avait confiance dans la manière de les interpréter de Hua Feng :

« Tu te rends compte ? Aujourd’hui les chasseurs affirme qu’il n’y a qu’un vampire pour faire une chose pareille… Comme si l’homme en était incapable… »

Yuan laisse planer un bref silence songeur avant de constater :

« Pourtant ce sont bel et bien les hommes qui se sont fait remarquer dans l’histoire dans leurs actes de crucifixion. »

Il ne parlait pas que de Dieu. Ou de Jésus le cas présent. Mais disons que ce qu’on jugeait « impossible » pour un être humain leur appartenait bel et bien. Et Yuan ressentait le besoin de rappeler qu’il n’y avait pas que les vampires qui étaient capables de faire couler le sang d’horribles façons…

De son propre chef, alors. Le Conseil n’était pas toujours facile à comprendre pour Hua Feng. L’Ordre était très indépendant et pourtant, à côté du Conseil des Cinq, il semblait presque exigeant à ce sujet. C’était toujours un peu particuliers pour lui. Mais il ne dit rien, se contentant d’opiner très brièvement. Quant à la surprise dont ils étaient tous les deux la proie, il ne peut que soupirer brièvement. Et quand il réalise que Yuan aussi observait la trace de sang au sol, une question pertinente lui vient automatiquement en tête…

« Est-ce que la victime s’injectait de la Crysalis ? », demande-t-il, soucieux. Ça avait de son importance. Ou peut-être pas, si c’était vraiment juste un meurtre symbolique, mais Yuan allait comprendre où il voulait en venir, n’est-ce pas ? Il ne répond pas immédiatement quant à ses soupçons. Pas parce qu’il avait quelque chose à cacher à ce sujet. Pas à Yuan, pas cette nuit. Mais, l’homme continue un peu… Il a un petit « hm » songeur alors que le vampire lui annonce que tout le monde le pense, apparemment. Oui. Tout le monde étant les humains, sans aucun doute. Mais les vampires, dans tout ça…? « Je crois qu’un vampire aurait eu plus de facilité à hisser un corps sur une croix de cette façon. Je crois aussi que plusieurs chasseurs extrémistes sont assez tordus pour faire quelque chose du genre pour faire porter le blâme aux vampires. Et finalement, peut-être que ce n’est ni l’un, ni l’autre et que le complot est plus profond que ce qu’on croit. Qui sait… »

Pour le moment, il était prêt à écouter toutes les pistes, pour autant qu’elles ne soient pas autrement qu’objectives. Il n’indique rien quant à un potentiel contact chez les médias. C’était le cas, mais il ne se voyait pas le dire clairement à Yuan. Toutefois, il peut secouer négativement la tête.

« Pas de morsure. », convient-il, ne cachant certainement pas cette information. S’ils voulaient trouver la bonne réponse à cette sanglante énigme, ils allaient avoir besoin de collaborer. « Je comprends. Mais je crois aussi que ça n’explique rien. La famille me semble très précisément visée. Des chasseurs… Ça pourrait être n’importe quoi. »

Il soupire, agacé comme on le voyait trop peu souvent. Il lui semblait que plus il cherchait, plus il avait des questions. Et les réponses à ces questions en amenaient dix fois plus, comme l’Hydre dont on couperait les têtes inlassablement… Quant à l’image qu’il avait gravée sur la rétine… il agite un peu son cellulaire pour que Yuan le prenne finalement. Qu’il constate par lui-même.

« J’ai l’impression qu’on ne s’habitue jamais à ce genre de choses. », convient-il finalement avant de finalement ajouter malgré tout : « C’est sûrement mieux ainsi. »

Il se ferait peur s’il s’habituait à l’horreur. Mais, malgré le dégoût qu’il éprouvait, il n’était pas en état de choc non plus et il avait l’esprit dégagé de toute brume handicapante. Quant aux torts qui revenaient aux êtres humains, Hua Feng quitte finalement la scène du crime des yeux pour en revenir au Chinois à ses côtés qui semblait tout prêt à prendre la défense des siens.

« Je sais que ça semble être hommes contre vampires et c’est ce que les médias vont relayer, jetant de l’huile sur le feu. Mais reste calme. Il faut trouver le coupable, peu importe de quel milieu il est issu. C’est un monstre et les monstres doivent être jugés, puis condamnés. », murmure-t-il doucement, s’approchant un peu de Yuan. Il ose poser une main sur son épaule, comme pour inciter Yuan à se détendre à ce sujet. « Je n’ai pas de préjugés dans cette affaire. Je veux juste coincer le coupable, qu’il soit homme ou vampire. Et tu as raison : les hommes sont capables d’horreurs au même titre que les vampires. Au final, nous sommes tous des hommes… »

Tous capables du pire. C’était bien ça le problème…

« Et s’il s’agissait d’un vampire et d’un humain…? », demande soudainement Hua Feng, son regard ayant quitté celui de Yuan pour en revenir à la scène qui n’était plus mais qui se déroulait pourtant sous ses yeux en même temps, comme à retardement. « Si nous étions complètement à l’ouest en cherchant une guerre de clans ? »

Les moyens seraient réunis… Hisser la victime sur la croix. Terminer la sale besogne alors que le soleil se levait paresseusement… Empêcher le vampire de mordre. Tuer en un clin d’œil. Des possibilités croisées…

Yuan réfléchis sérieusement à la question. Est-ce que la victime s’injectait de la Crysalis ? Sans doute que Hua Feng s’était attendu à une réponse assurée dans un délais assez bref mais pour le coup Yuan n’avait pas été en mesure de le faire. D’ailleurs après une nouvelle étude il reconnait :

« Je ne sais pas. »

Et pour mieux s’expliquer :

« L’hémoglobine est beaucoup trop détériorée. Je sens à peine l’odeur du sang et elle n’a rien d’agréable. Une odeur comme caillée. Mais je ne sens pas spécialement le parfum si caractéristique de la Crysalis. »

Du moins caractéristique pour les vampires, les êtres humains trouvant le sérum particulièrement inodore pour leur part.

Hua Feng fait preuve de pragmatisme, n’hésitant pas à créer des scénarios plausibles qui impliqueraient tout le monde… Ou presque. D’ailleurs un fin sourire passe sur les lèvres de Yuan qui remarque :

« Oui « qui sait » ? Peut-être que ni les vampires ni les chasseurs ne sont à blâmer. »

Peut-être que c’était un être humain aux dehors très « normaux » qui avait agis. Et peut-être que c’était un membre de l’Ordre, pour une raison obscure. Ceci étant dit, Yuan était beau joueur et son petit air entendu le prouve : il supposait que le coupable était plus probablement un vampire ou un chasseur lui aussi.

Quant à l’absence de morsure et à ce qu’elle pouvait indiquer (ou pas, le cas présent), Yuan se contente d’un petit hochement songeur de la tête. C’est que Hua Feng avait commencé à parler de la famille de la victime et forcément, ça lui avait sonné les cloches.

« Tu as lu l’article dans le Chôsun Ilbo ? »

Et d’expliquer, puisque ça semblait être le cas :

« Heo Ginger… C’est un employé de la Lanterne Bleue. »

Yuan rajuste son écharpe. Pas qu’il ait froid mais le réflexe de s’habiller chaudement en période hivernale et plus légèrement en période de grosse chaleur avait la vie dure.

« Ce n’est pas un chasseur comme sa famille. Et c’est un bon employé. »

Pour parer aux questions les plus urgentes et probables. Hua Feng insiste pour lui montrer les photos et Yuan tend la main. Il ne récupère pas simplement l’appareil ceci dit… A la place, de sa main non gantée, il vient saisir le poignet de l’homme pour qu’il cesse de secouer le petit appareil, gardant sa paume chaude autour du poignet froid.

Pour lui qui avait vu les affres de la guerre, le sang et les blessures n’étaient pas un problème. Mais la position, la mise en scène… Il était d’accord avec l’autre chinois : on ne pouvait guère s’habituer à ça. Et mieux valait effectivement pas. Relâchant le poignet de l’homme, non sans avoir caresser de son pouce sans même y penser la veine épaisse qui se trouvait dans l’intérieur de celui-ci, Yuan constate :

« J’imagine que c’était l’objectif : choquer. Et on ne peut pas dire que nous n’avons pas été généreux pour relayer notre état de choc. »

Il ne se ferait jamais au concept de la presse et bien que Yuan lui reconnaisse une grande part de bienfait au niveau du concept de « république » et de « liberté », il n’aimait pas trop les excès dont elle se rendait trop souvent coupable. Hua Feng parle d’ailleurs à son tour de la presse, sans savoir à quel point il peut faire écho à ses pensées et à cette idée Yuan esquisse à nouveau un petit sourire, amusé cette fois. En revanche, après avoir presque philosophé d’une manière qui sonnait agréablement aux oreilles de Yuan, Hua Feng fait une suggestion qui semblait un peu hasardeuse à Yuan.

« Je ne dis pas que c’est impossible mais tu admettras que c’est plutôt hautement improbable. »

Et pour tout dire :

« Je ne cherche pas une guerre des clans. Je constate juste que c’est ce qui arrivera, que ce soit la volonté du tueur ou un simple « dommage collatéral ». »

Yuan remet ses gants puis fourre ses mains dans ses poches, toujours très songeur.

« Je vais devoir rentrer. Je dois consulter quelques personnes… »

Des vampires qui avaient les oreilles trainantes et les langues bien pendues !

« Je t’appelle si j’ai du nouveau. Et tu en feras de même avec moi, j’en suis sûr. »

Oui il tournait déjà les talons… Il n’y avait plus rien à apprendre ici de toute façon…

Hua Feng ne répond pas à ça. C’était Yuan l’expert et il ne pouvait lui amener des réponses, alors ça ne servait à rien de s’acharner. C’eût été intéressant de savoir. Pour le moment, ce n’était toutefois pas absolument nécessaire. Il espérait que ça ne le serait jamais… parce qu’il ne voulait plus jamais voir une telle horreur se produire. Mais il aurait aimé pouvoir mettre la main sur le tordu qui avait fait ça, forcément et avec les maigres indices qu’ils avaient présentement, ça allait être compliqué. Quant Yuan ajoute qu’un être humain sans lien avec ni les chasseurs, ni les vampires l’avait peut-être fait, il ne proteste pas, embrassant cette idée. Des tueurs en série, il y en avait partout. Des cinglés. Mais soudainement, ça le frappe : peut-être que c’était un membre de l’Ordre et c’est ce que Yuan sous-entendait entre autre. Il se crispe un peu. Mais encore une fois, il reste silencieux, de retour à ses vieilles habitudes. Il ne pouvait protester. C’était peut-être le cas. Qui sait… Mais cette pensée le mettait mal à l’aise et le dérangeait. Lui donnait envie de défendre les siens, ce qui n’était ni sage, ni juste. Alors il préfère se taire.

Il opine ensuite brièvement. L’information qui lui est donnée sur Heo Ginger est intéressante. Il l’avait sûrement vu plusieurs fois sans y faire attention. Nul doute que la prochaine fois, il serait beaucoup plus attentif. Comme quoi, on ne savait jamais qui allait être au cœur du prochain scandale à Séoul… Il se demandait ce qui l’avait fait changer de camp. Mais cette conversation allait devoir attendre. Elle n’avait aucune valeur quant à l’enquête qu’il menait présentement. Une main chaude le tire de ses réflexions. Il a un regard pour son poignet, contre lequel Yuan sentait probablement les battements de son cœur, mais n’en dit rien. Alors il en vient plutôt au beau visage, concentré sur les clichés qu’il voulait lui montrer.

« Nous avons à peu près la même opinion de la presse. », convient-il finalement tout en rangeant son cellulaire dans la poche de son manteau. S’il n’avait pas été Hua Feng, il aurait même eu un ton amer. Mais pour l’heure, il restait neutre et calme. Il était seulement heureux de ne plus regarder ces photos terriblement glauques. Plusieurs pensaient que rien ne pouvait ébranler le géant aux tonfas, mais c’était on ne peut plus faux. Il suffisait de lui montrer les horreurs que les hommes pouvaient commettre, humains ou vampires, pour l’ébranler. Il ne le montrait juste pas. « Peut-être que c’est hautement improbable, mais j’essaie de couvrir toutes les éventualités. »

Il n’était pas un grand enquêteur. Il faisait de son mieux. Mais il supposait que Yuan le savait déjà. Ce dernier est finalement sur le départ. Déjà. Il y avait presque une petite déception. Mais en même temps, Hua Feng commençait à avoir froid… et cet endroit n’était pas un lien de rendez-vous adéquat ou intéressant. Alors il le salut gravement, d’un signe de la tête. C’était aussi une approbation quant à l’appeler s’il y avait quoi que ce soit de nouveau… Hua Feng entend les pas lents de Yuan s’éloigner. Puis se rapprocher. Il détache son regard de la scène qui n’existe plus, surpris.

« Tu as oubl… »

Mais sa question reste en suspens. Parce qu’avant même qu’il n’ait le temps de se retourner, on lui fond dessus comme une masse. Il reçoit la silhouette de plein fouet. Celle-ci est accompagnée de reproches qui vont directement à l’Ordre. Le vampire est grand, fin mais puissant. Son habillement semble sortir d’une autre époque. Il est très clairement Asiatique, mais s’habille à l’ancienne mode anglaise. Lorsque Hua Feng reçoit un coup sur la main qui allait saisir un tonfa, il réalise néanmoins que ce réflexe d’essayer de retenir le plus de traits caractéristiques possibles n’allait lui être d’aucune utilité ce soir. Il frappe de la seconde, sans arme néanmoins, contre une tempe pour déboussoler. Il connaissait les signes vitaux et même les vampires pouvaient en souffrir, juste pas en mourir. Mais pas ce soir... Celui-là est trop vieux. Il sait trop comment utiliser sa force. Et il l'a pris par surprise...

Le Chinois est propulsé contre un mur de briques, assez près pour sentir quelques os se rompre sous le choc et pas assez loin pour pouvoir se relever avant que le vampire ne fonde à nouveau sur lui. Non. Ça ne lui serait d’aucune utilité… Cette nuit, Hua Feng allait mourir…

Partant sur une note positive, celle d’une opinion commune à propos de la presse, Yuan avait donc rebroussé chemin, un léger vague à l’âme inexplicable dans le cœur. C’est peut-être cette distraction due à son humeur qui l’empêche de se rendre compte qu’ils n’étaient plus entièrement seuls, Hua Feng et lui… Toujours est-il qu’il n’avait rien remarqué… Et que c’est en retournant près des grilles de l’université qu’il perçoit un changement dans l’air… Des sons étouffés par le vent et la météo en générale… Et l’odeur du sang, quoi que superficielle, portée justement par quelques bourrasques à ses narines. Un sang qu’il reconnaît pour l’avoir déjà senti sans y goûter… Et son sang à lui ne fait qu’un tour !

En moins d’une minute Yuan est sur les lieux de l’agression, fouillant l’obscurité à laquelle ses yeux sont habitués pour trouver Hua Feng d’abord… L’homme venait de douloureusement rencontrer un mur et l’ouïe fine et vampirique de Yuan avait nettement perçu le son caractéristique de la cage thoracique qui n’encaisse pas la totalité du choc…

Et du coup de l’œil il perçoit les mouvements vifs de son agresseur. Une longue silhouette élancée, c’est-à-dire longue et fine quoi que robuste. Des quelques mots en chinois qu’il perçoit, il s’agit de reproches rageurs envers l’Ordre et tout ça mis bout à bout, en plus de sa conversation avec son fils la veille, Yuan se précipite pour retenir l’agresseur de Hua Feng avait qu’il ne fonde pour de bon sur lui ! Sa main retient avec une force toute calculée celle du vampire alors qu’il s’exclame :

« Xiao Ming, non ! »

Son regard rencontre celui bien noir et en longueur de Xiao Ming et… Non attendez… Yuan accuse le choc à son tour : ce n’est pas son fils. Alors s’il était resté jusque là dans une posture défensive, il grogne soudainement :

« Toi tu as fait deux énormes erreurs ! »

S’en prendre à Hua Feng… Et le bouleversé en lui faisant croire qu’il était son fils ! Malgré lui peut-être et alors ? Le résultat était tout de même là. Yuan repousse une première fois le vampire qui s’excite tout seul à propos de « savoir choisir son camp ». Yuan était dans son propre camp, il choisissait ses alliés tout seul… On avait passé beaucoup trop de temps à lui dire qui était l’ennemi et qui était l’allié. Aujourd’hui il choisissait seul !

Le résultat des courses c’est une bataille devenue très inégale alors même que Yuan était devenu parfaitement sérieux, mettant en pratique presque deux mille ans de connaissance et d’expérience dans les arts martiaux pour terrasser son adversaire. Il ne « joue pas » comme un chat avec une souris. C’est expéditif… Et lorsqu’il ne reste plus rien d’autre du vampire qu’un amas de cendre déjà emporté par le vent, Yuan accours à nouveau vers Hua Feng, plus affecté à présent qu’il n’était plus dans son armure imaginaire de soldat de l’Empire…

« Hua Feng ! »

L’homme n’est qu’à demi conscient… En fait il semble perdre conscience sitôt qu’il la recouvre…

Alors Yuan passe un bras sous ses aisselles, un autre sous ses genoux et tout en faisant attention à l’environnement qui les entours cette fois il le ramène à la Lanterne Bleue, ou plutôt à ses appartements, profondément dans le sous-sol, sous la cave elle-même de l’établissement. Ho en réalité le gros de son appartement était à l’étage. On y trouvait le salon, une cuisine, une petite salle d’eau, les commodités… Sa chambre en revanche était là où le soleil ne pourrait jamais le surprendre, attenante à une salle de bain plus spacieuse et confortable.

Yuan dépose son colis dans les draps en satin, prend le temps de le déshabiller, de vérifier ses côtes et ses os de manière générale. Il n’était pas médecin mais il avait plus souvent qu’à son tour paré au plus urgent sur des champs de bataille. Du baume est appliqué sur les côtes qui commencent déjà à bleuirent et un bandage passé en travers pour les soutenir un peu. Il n’y avait rien à faire de mieux de toute façon. L’homme est passé sous les draps et sachant que la pièce pouvait être froide, Yuan va même chercher une couverture supplémentaire qu’il dépose par-dessus la silhouette encore dans les choux. Il avait eu peur… Et malgré les piques qu’il lui envoyait parfois, Yuan avait un profond respect et intérêt pour cet homme, tout membre de l’Ordre soit-il.

Le silence revient… Mais pas le calme dans sa tête. Yuan prend le temps de remonter à l’étage de la Lanterne Bleue pour prévenir qu’il ne veut pas qu’on le dérange… Puis il redescend, veille une ou deux heures peut-être sur l’homme endormit qui ne paraissait plus si sévère à présent que ses traits étaient détendus malgré lui ! Il avait passé une main dans ses cheveux, glissé ses doigts le long de la ligne de son front, d’une tempe, d’une joue, d’une mâchoire…

Finalement Yuan s’était douché, changé… Puis assit près de l’agent de liaison pour sortir de sa poche son bracelet mala, entreprenant la récitation de mantra tout en faisant jouer les perles entre ses doigts. Il récite autant pour Hua Feng que pour Xiao Ming, ne parvenant pas à déterminer ce qu’il aurait pu et du faire si ça avait vraiment été lui.

Yuan en a fait le tour presque cinq fois lorsque Hua Feng rouvre les yeux. Il tourne la tête vers lui, prévenant :

« Ne bouge pas. Tu as au moins deux côtes cassées… Et probablement au moins une autre fêlée sans parler des contusions et des probables entorses diverses… »

Il revient observer le bracelet entre ses doigts, laissant glisser plusieurs perles tandis que ses lèvres psalmodient en silence… Puis reprend à nouveau :

« Tu as été attaqué dans la cour de l’Université. »

Quelques mantras à nouveau et une nouvelle pause pour expliquer :

« Tu es chez moi. Dans ma chambre dans les sous-sols. Le soleil est en train de se lever. »

Pas que ça l’empêche de partir, bien au contraire ! Mais c’était pour qu’il se figure un peu le temps qui avait pu passer. Yuan va au bout des perles de son bracelet pour la dernière fois avant de le ranger, se relevant alors.

« Je vais chercher tes vêtements. »

A moins qu’il préfère rester en caleçon, ça lui allait superbement, mais Yuan en doutait…

Dans ce monde qui n’est plus que douleur et odeur ferrique, Hua Feng n’entend pas Yuan revenir. Il entend par contre son cri initial et quand le prénom qui franchit ses lèvres est aussi familier parce que chinois qu’inconnu parce que jamais entendu, sa confusion devient encore plus prononcée. Mais rien qu’y réfléchir lui donne mal à la tête et il constate rapidement qu’essayer de retenir ses pensées pour former un tout cohérent, c’est comme essayer de retenir de l’eau entre des mains aux doigts ouverts… Il n’y arrive tout simplement pas. Il ne saurait même dire ce qui se passe après que ce « Xiao Ming » paniqué ait franchi la barrière des lèvres de l’autre Chinois. Il sent à peine le toucher de Yuan sur lui. La douleur lorsqu’il le soulève. De toute façon, il ne s’en souviendra pas lorsqu’il se réveillera… Alors il devient poupée de chiffon, ce grand Chinois qui jusque-là avait toujours été assez prudent pour rester loin de la mort.

Lorsque Hua Feng revient à lui, c’est évident qu’un long moment a passé. Il ne reconnait d’abord rien autour de lui. Il ne retrouve plus la dalle froide contre laquelle il s’était évanouie, ni l’oppressante nuit qui l’avait étreint avant qu’il ne ferme les yeux. Il est dans des draps soyeux, presque sensuels contre sa peau nue. Il en frissonne brièvement, un mouvement réflexe certes minime, mais qui parvient à envoyer une petite onde de choc dans tout son corps. Douleur. Il serre un peu les dents pour retenir un grognement qu’il ne veut faire. Et s’il n’a toujours pas ouvert les yeux, c’est qu’il reconnait le parfum suave qui l’entoure.

Yuan.

Il le sent près de lui. Aussi quand il tourne finalement la tête vers la gauche, ouvrant les yeux, il ne sursaute pas. Il n’est pas surpris. Même qu’il entend avant de voir, mais la belle silhouette de Yuan se détache finalement devant lui, comme s’il sortait d’un brouillard rêveur sans même bouger. Il écoute religieusement l’états des lieux que lui dresse Yuan, les lieux en question étant son corps. Il le sonde en même temps, remuant juste assez pour le faire plus aisément. Une effronterie que son corps lui fait rapidement regretter. Merde. Il allait être sur le carreau un moment… Il se refusait à garder le lit une semaine. Mais il allait devoir les compter avant de reprendre son travail s’il ne voulait pas se mettre en danger inutilement…

Les informations viennent lentement, mais de façon complète et claire, entre des mantras qu’il n’écoute pas, mais qu’il entend et qui ont un effet apaisant sur lui. Il ne se sentait plus menacé. C’était grâce à Yuan. Non heureux de lui sauver la peau, il l’apaisait, à présent…

« J-… »

Il ferme les yeux, prenant une profonde inspiration pour ne pas s’étouffer. Parler était moins simple qu’il l’aurait cru. Il rouvre les yeux, tournant la tête pour voir ce que contenait la table d’appoint. Il est soulagé de voir un verre vide et une carafe qui devait contenir de l’eau. Rien qu’à voir quelques gouttelettes glisser le long de celle-ci lui donnait une soif folle. Il comprenait presque les nouveau-nés vampiriques, finalement…

« Soif. »

Sa voix est rauque et étouffée. Il se redresse comme il peut, mais il doit à Yuan de ne pas se faire davantage mal. Il a besoin de son aide pour boire. Il n’était pas le genre d’homme à s’en froisser alors il ne proteste pas et se contente de finir son verre avant de finalement pousser un long soupir. Jamais eau n’avait eu meilleur goût.

« Merci. ». Sa voix était encore rauque, mais plus étouffée et il pouvait s’exprimer clairement. C’était déjà ça de pris… « Je n’ai pas besoin de mes vêtements pour le moment. »

Rien que la pensée d’essayer d’enfiler son jeans lui donnait envie de vomir. La douleur serait insupportable. Et pourtant, il se prenait encore à espérer que demain, ça irait mieux !

« Il y a une raison à ma présence ici plutôt que dans une chambre d’hôpital ? », demande-t-il soudainement, son regard posé à nouveau sur Yuan. Et histoire que ce soit clair : « Ce n’est pas une question piège. Je t’en suis reconnaissant. Et je vois que tu as fait le nécessaire. »

D’ailleurs, s’il garde le silence un instant, c’est néanmoins pour finalement murmurer sincèrement :

« Merci. »

Pour lui avoir sauvé la vie, surtout…

Yuan avait récupéré le verre posé sur la table de chevet près de Hua Feng. Il avait aidé le jeune homme à se redresser un peu dans les draps, avait porté le verre à ses lèvres et même soutenu sa tête pour lui éviter trop d’efforts inutiles.

« Je vais aller chercher de quoi faire passer la migraine tout à l'heure. Il y en a dans la salle des employés. »

Il la devinait rien qu’à voir le regard de Hua Feng fuir un peu la lumière du plafonnier. D’ailleurs après en avoir terminé avec l’eau et s’être assuré que l’homme était installé confortablement, il va tamiser davantage la lumière.

Yuan s’étonne de la décision de Hua Feng à propos de ses vêtements mais il ne se dispute pas pour ça, évidemment ! Il revient plutôt se poser assit sur le lit et à la question il reconnait :

« Un réflexe. »

Les vampires cherchaient rarement l’aide des hôpitaux. Mais d’ajouter :

« Tu ne me semblait pas souffrir de quelque chose qui aurait nécessité des soins immédiats. Du moins aucun que je n’aurais pas pu dispenser moi-même. Mais je peux en faire venir un, si tu veux. Ou t’appeler un taxi. »

Parce qu’avec le jour qui se levait à l’extérieur il était inutile de lui proposer de l’y déposer maintenant lui-même !

Yuan observe gravement le visage de l’autre chinois puis lève une main pour la poser sur sa joue, venant de son pouce caresser brièvement le petit grain de beauté qui, tel que son nom l’indiquait, ajoutait un point charme à son visage déjà soigneusement sculpté. Il la retire finalement, venant reremplir le verre d’eau, en cas de besoin.

« On dirait que tu vas néanmoins devoir te tenir au vert quelques jours. Et éviter les batailles et le port d’objets lourds pour les semaines à venir. »

Ses côtes avaient besoin de repos, entre autres choses. Il n’y avait rien à faire pour elles, on ne pouvait pas les plâtrer ni rien du genre.

« Parfois j’oublie à quel point vous êtes fragiles. »

Les êtres humains ne se brisaient pas forcément plus vite que les vampires… Mais clairement, leur taux de guérison était nettement plus bas. Eux apprenaient à cicatriser. C’était instinctif mais plus l’expérience vous guidait, plus vous y étiez efficace.

« Je suis désolé. J’étais pris par mes pensées, je n’ai pas remarqué qu’à un moment nous avions cessé d’être seuls. »

Ça aussi ça avait joué dans sa confusion vis-à-vis de l’identité du vampire. Puisqu’il savait que son fils avait eu beaucoup d’attention pour lui, en secret, avant de se dévoiler, Yuan avait supposé que de ne l’avoir pas senti ne pouvait dire qu’une chose : c’était encore lui.

« Est-ce que quelqu’un de ton Ordre devait t’attendre ? »

Savoir s’il y avait quelqu’un à prévenir que Hua Feng n’était pas -ou plus- en difficulté quelque part. Et parce qu’au final ça aurait également pu être quelqu’un sans rapport avec l’Ordre :

« Ou quelqu’un de manière générale. »

Disons qu’il avait vu Hua Feng à la Lanterne Bleue il y avait assez peu de temps. Accompagné d’un vampire qui avait de commun avec lui ce fameux Ordre auquel il avait appartenu avant de devenir un vampire. Ils semblaient complices et le mot était un doux euphémisme pour être sincère ! Quoi qu’il en soit, chassant ça de sa tête parce que ça n’avait que peu d’intérêt réel pour le moment, Yuan ajoute quand même :

« Tu es le bienvenue ici tant que tu en auras besoin, si c’est le cas. »

Il l’avait emporté chez lui et ce n’était pas pour le jeter dehors dès qu’il aurait les deux yeux ouverts.

« J’ai demandé à un employé d’aller t’acheter un grand bol de Kimchi jjigae. »

Quelque chose de chaud et de copieux, pour essayer de se remettre plus vite. Se relevant finalement Yuan contourne le lit pour venir, après avoir retiré les souliers qu’il n’utilisait que dans son intérieur, venir se poser sur la place laissée vacante. Quoi qu’il n’eût pas « sommeil » physiquement parlant, il en avait gardé l’habitude et psychologiquement, son esprit réclamait. Ses phases de sommeil ne duraient pas plus de quelques heures, peut-être quatre ou cinq… Mais elles aidaient à ce que les journées ne semblent pas interminables et sans alternance des cycles du jour et de la nuit.

« Tu peux te vanter de m’avoir fait une frayeur. »

Il n’en était toujours pas complètement remis d’ailleurs !

C’était particuliers d’avoir Yuan à son chevet pour jouer les infirmières avec lui. Mais c’était bon aussi de sentir qu’on s’occupait de lui. Hua Feng était du genre à panser ses plaies lui-même et à passer trois jours à se reposer dans la minuscule pièce qui lui servait de chambre lorsqu’il se blessait gravement. Alors qu’il boit, il ne peut s’empêcher de poser son regard sur le vampire à ses côtés, qui semblait tout concentré sur sa tâche. Lorsque le verre s’éloigne de ses lèvres, le Chinois a un petit « merci » sans détourner le regard. Il avait vraiment cru que c’était la dernière fois qu’il voyait le ciel de Séoul… ou les yeux élégamment étirés sur les tempes de Yuan. Toutefois, dès que le vampire le relâche, il s’étend à nouveau parce qu’il avait besoin d’au moins encore quelques minutes pour retrouver des forces et se ressaisir. Pour lui, c’est comme s’il venait tout juste de quitter la ruelle…

Le matelas s’enfonce doucement sous le poids de Yuan alors qu’il se pose près de lui et Hua Feng, fermant les yeux, tourne paresseusement la tête vers lui comme pour suivre le mouvement. Le parfum de l’autre homme vient le bercer alors qu’il écoute sa jolie voix se défendre sans force de l’avoir ramené ici plutôt que de l’avoir laissé à l’hôpital.

« Je préfère être ici. », assure le membre de l’Ordre, qu’il n’y ait pas de doute dans l’esprit de son hôte. Il glisse une main contre son ventre. Tâte en douceur ses côtes douloureuses, gardant un visage impassible pendant qu’il le faisait. Puis finalement, il convient : « Non. Inutile d’appeler qui que ce soit. Il n’y a rien là que le temps ne saurait guérir. »

Une main de soie se pose sur son visage. Plus qu’une caresse papillon, Hua Feng y sent quelque chose d’autre. Quelque chose de nouveau, même pour lui qui avait eu quelques relations déjà. Il ferme les yeux, un bref sourire étirant ses lèvres, rare mais toujours sincère.

« Oui. Je vais faire attention. », convient Hua Feng, qui n’était pas du genre à se plaindre, mais qui se connaissait assez et avait assez de maturité pour ne pas se mettre en danger bêtement. Quant à sa fragilité… ça aurait pu l’insulter s’il n’avait pas été le genre d’homme chez qui la virilité n’est pas fragile. Il se contente de faire remarquer : « C’est pourtant ce qui nous rend plus forts. »

Il fallait redoubler de courage pour s’attaquer à des vampires quand on était simple homme, n’est-ce pas ? Il ne répond pas aux excuses de Yuan. Par contre, il était évident qu’il ne croyait pas que des excuses étaient nécessaires dans cette situation. Toutefois, autre chose l’interpellait forcément à ce sujet…

« Tu l’as pris pour qui ? », demande-t-il finalement, son regard un peu fatigué scrutant l’expression du vampire à ses côtés. « Tu étais en colère… mais soulagé aussi. »

De constater que ce n’était pas celui qu’il avait cru dans un premier temps. Hua Feng était très rarement curieux. Mais il est vrai que cette fois sa volonté de savoir s’étendait au-delà de la sphère professionnelle… En fait, ça n’avait aucun intérêt pour l’Ordre. C’était juste pour lui. Quant à ces gens qu’il pourrait avertir, il secoue négativement la tête. Il n’y avait personne qui l’attendait. Pas de cette façon empressée qui mériterait des nouvelles immédiates, en tout cas. Yuan lui montre ensuite encore qu’il avait pensé à tout pour son confort. Il ne l’imaginait pas le mettre à la porte, mais il était clairement un hôte avec beaucoup de mérite… Il tourne la tête pour suivre le mouvement lorsque Yuan contourne élégamment le lit, puis s’étend près de lui, félin peut-être même sans le savoir. Un petit nuage de parfum agréable et sensuel vient l’assaillir un instant.

« Ce n’était pas le but. », murmure Hua Feng même si Yuan le savait déjà. Il ne comptait pas lui faire peur, ni de la sorte, ni d’aucune autre sorte, en fait ! Le grand Chinois ferme les yeux, prenant une profonde inspiration. Elle fait un peu mal, mais il passe outre. Il était juste heureux d’être en vie. « Tu m’as sauvé la vie, Yuan. Je ne peux pas dire que je te dois quelque chose de membre de l’Ordre à membre du Conseil… Mais je te dois clairement quelque chose d’homme à homme… »

Il bouge un peu. Sa main frôle par inadvertance celle du vampire. Il frémit et son cœur manque un battement. Il réalisait que se retrouver dans ce lit avec Yuan, c’était quelque chose qu’il désirait. Mais vu sa condition, en profiter était hors de question. Ironique…

« Tu dors avec moi ? »

Il ne protesterait pas.

« Je préfère que tu sois ici aussi. »

Pas qu’il trouve des défauts aux hôpitaux… Mais avec Hua Feng sous les yeux il n’avait pas à craindre que l’incident de cette nuit se répète sans qu’il soit là pour intervenir… Surtout que l’homme de l’Ordre n’était plus vraiment en état de se défendre et ça allait perdurer quelques jours si ce n’était semaines. Hua Feng semble en arrive à la même conclusion d’ailleurs et Yuan acquiesce. Il hoche également la tête alors qu’il promet de se montrer prudent mais à propos de la force des hommes, Yuan s’entend d’abord simplement demander :

« Tu crois ? »

Il n’en était pas toujours sûr. Et la frayeur que cet homme lui avait fait ce soir jouait en la défaveur de ce genre d’idée. Mais peu importe parce que Hua Feng pose une question qu’il avait osé espérer éviter. Yuan ne répond dans un premier temps que par le silence et finalement :

« Tu as entendu parler de Han Lawrence, qui est arrivé au conseil très récemment pour reprendre la place laissée vacante par la disparition de Kang Hae Il ? »

Il se doutait que Hua Feng verrait bien… Parce que c’était son travail, à lui tout particulièrement d’ailleurs. Quoi qu’il en soit à ce stade le chinois devait bien supposer que c’était pour lui qu’il l’avait pris, tout en se souvenant peut-être qu’il l’avait néanmoins appelé autrement.

« Son vrai nom est Pan Xiao Ming. Il est né en Chine il y a un peu moins de 800 ans. C’était un homme du peuple. A peine majeur aux yeux du monde d’aujourd’hui lorsqu’une armée a ravagé ses champs, sa famille… Et l’a laissé pour mort au milieu des ruines fumantes. Déjà un homme pourtant à l’époque. »

Yuan a un soupire, se souvenant de cette nuit là de manière plus claire que jamais. Ça avait changé la vie de Xiao Ming évidemment… Mais ça avait aussi énormément changé la sienne. Yuan revient accrocher le regard de Hua Feng alors qu’il conclut :

« Il cherchait la vengeance. Il voulait vivre encore pour défendre et retrouver ses terres. Ceux des siens qui avaient péris. Et je lui ai offert cette opportunité. »

Pour Hua Feng qui n’avait – de son propre aveu- jamais ouvert le moindre dossier à son nom, était en train d’apprendre une sacrée information à ce stade.

« Je ne suis même pas sûr que l’Ordre ait fait le rapprochement entre Xiao Ming et « Lawrence ». »

Sur un ton qui sous entendait qu’il préférait que ça reste comme ça pour le moment.

« Il a toujours eu un tempérament de feu qu’il n’a jamais réussi à bien canaliser. C’est un homme très intelligent, très investit dans ce qu’il entreprend. Un visionnaire, comme je l’ai découvert à son arrivée en Corée… Mais il est aussi plein de rancune et de colère. Contre l’Ordre qui nous a trompé… Contre moi pour avoir abandonné les armes… Il s’est sentit sans avenir et sans quête. »

Et parce que ce n’était plus un petit garçon, il n’avait pas été possible de simplement le raisonner.

« Je ne crois pas au fond de moi qu’il soit dangereux. Mais j’ai appris son retour il y a quelques jours à peine seulement. Et ce vampire lui ressemblait. En plus, Xiao Ming ne t’aime pas beaucoup je le crains. »

Avec un petit sourire néanmoins qui signifiait bien que ce n’en était pas à un stade où il pensait réellement que Hua Feng aurait dû craindre pour sa vie. Mais mieux valait être prudent disons.

Couché aux côtés de l’autre chinois, Yuan saisit une petite télécommande accrochée au montant de lit, les plongeant dans une relative obscurité en appuyant sur un des boutons. Ça ne les empêchait pas de discuter mais ça créait comme un second cocon autour d’eux.

« Je ne considère pas que tu me doives quelque chose. Mais je saurais m’en souvenir. »

Il n’était pas de ceux qui insistait pour ne rien recevoir. C’était une question d’orgueil ou d’honneur pour celui qui se sentait redevable et Yuan n’allait pas faire l’affront à Hua Feng de faire comme si ce n’était rien du tout.

« Oui je reste là. Quand tu te réveilleras tu pourras manger pour commencer à reprendre des forces. »

Et parce qu’il venait d’en raconter pas mal à son sujet, Yuan se permet de se montrer curieux à son tour.

« Tu as de la famille, Hua Feng ? Comment est-ce que tu es arrivé en Corée ? »

C’était là une phrase presque innocente qui, pourtant, révélait que Yuan s’inquiétait pour lui et ça, c’était vraiment agréable à constater. Si Hua Feng n’ajoute rien à ce sujet, il n’en pense néanmoins pas moins beaucoup de bien. Quant à leur force, celle des hommes, il acquiesce doucement. Oui. Il croyait sincèrement que c’était une de leurs faiblesses, mais aussi une de leurs forces. Il ne savait juste pas s’il aurait les bons mots pour l’expliquer et prend donc quelques secondes de silence pour y réfléchir avant d’ouvrir à nouveau la bouche.

« Résilience. Courage. Détermination. », explique-t-il finalement comme toujours dans très peu de mots, mais pas moins pleins de sens. À ses oreilles, du moins. « Je ne dis pas que vous ne les avez pas. Mais elles sont développées très rapidement chez celui qui a une vie courte et n’est plus au sommet de la chaîne alimentaire. »

Hua Feng a un nouveau moment de silence, comme ils se multipliaient facilement chez lui.

« C’est vrai. J’ai failli tomber au combat ce soir. », convient-il lentement. Il pouvait l’admettre. Mais se rappeler à quel point il était passé près de la mort le secouait encore un peu. « Mais combien de combats ai-je mené contre des vampires jusque-là sans y laisser la vie ? »

Plusieurs. C’était la première fois qu’il voyait la mort de si près. Il était inventif et consciencieux. Il trouvait de nouvelles façons d’affronter ceux qui étaient indécemment plus forts que lui. Yuan lui parle néanmoins d’un nouveau membre du Conseil. Conseil qui changeait très peu de membres, vu la longévité des vampires qui y siégeaient. Ça avait donc beaucoup fait jaser chez l’Ordre, forcément. Il ne répond pas, mais son regard prouve toujours qu’il suit très bien ce que l’autre homme lui explique. Il ne s’attendait pas à la suite, par contre… Yuan avait un fil vampirique ? C’était étrange. Comme s’il entrait dans un tout nouveau monde alors qu’il avait peut-être été naïf de croire le contraire, vu l’âge de Yuan…

« C’est le seul ? », demande-t-il soudainement, alors que Yuan lui parlait de ce fils vampirique qu’il n’avait pas vu venir. Le seul fils qu’il avait ? Ou devait-il se surprendre d’en découvrir d’autres un jour ? Il ne jugeait pas, malgré sa surprise. Mais c’est vrai qu’il n’était pas enthousiaste non plus. « Je ne sais pas si le rapprochement a été fait. Mais je sais que… »

Il y a un bref moment de silence. Non. Il ne savait pas si l’Ordre avait lié Xiao Ming et Lawrence parce qu’il n’avait pas été assigné à cette tâche, puisque son devoir était de garder les liens les plus cordiaux possibles avec les vampires et les chasseurs qu’il abordait. Il avait un peu l’impression de trahir l’Ordre en donnant cette information à Yuan. Disons qu’il n’avait techniquement pas le droit de la donner sans que ce soit considéré comme une trahison pour autant. De toute façon, le principal concerné aurait sûrement fini par le comprendre assez vite puisqu’on le disait très vif d’esprit…

« Han est sous enquête et étroitement surveillé parce qu’il est considéré comme potentiellement nuisible à notre cause. », explique-t-il finalement. Yuan comprendrait-il que ce n’était pas une déclaration de guerre ouverte ? Juste une assurance que tout irait bien de ce côté-là que l’Ordre se donnait ? Ou alors son sentiment paternel lui brouillerait-il l’esprit ? Il ne pouvait le savoir tant que l’homme n’y avait pas réagi… mais il ne voulait pas garder ce secret envers Yuan. « Je ne compte pas le dire tant qu’on ne m’interroge pas. »

Et dans l’état, il ne voyait personne venir l’interroger à ce sujet, surtout s’ils ne savaient pas que ce Han Lawrence était le fils vampirique du propriétaire de la Lanterne Bleue. Mais Yuan ne pouvait lui demander de mentir pour lui. Il en avait conscience, n’est-ce pas ? Le caractère qui lui est dépeint lui explique un peu pourquoi l’Ordre l’avait à l’œil même si forcément, Yuan le dépeignait d’une façon plus positive que négative. Et c’était peut-être justifié. Mais Hua Feng soupçonnait que le vampire ne parle avec les mots d’un père, surtout ! Par contre…

« La pomme ne peut être tombée très loin de l’arbre. », convient Hua Feng, ce qui était indéniablement un compliment. « Je vais avoir confiance en son éducation en l’approchant, si je dois un jour l’approcher. »

Malgré le ressentiment de Lawrence envers l’Ordre. Il allait être prudent, certes. Surtout que Yuan était vite arrivé à la conclusion que son fils l’avait attaqué, ce soir. Ce n’était donc pas loin de son caractère, probablement… Mais il pouvait donner sa chance au coureur. Juste pas maintenant. Il avait besoin de repos, loin des vampires d’un millénaire qui voulaient potentiellement sa peau, après ce soir.

« Il ne m’aime déjà pas ? », demande Hua Feng tout en arquant ce sourcil barré par une petite cicatrice blanche. Sur ce, l’obscurité tombe et l’homme a un soupir de bien-être en fermant définitivement les yeux. De toute façon, il ne verrait plus rien à présent. « Si je m’endors, ce n’est pas parce que la conversation est ennuyante. »

Il prévenait, au cas où ! Mais il avait beaucoup demandé à son corps en peu de temps, aujourd’hui, de toute évidence… Il avait besoin de repos et il supposait que le sommeil allait venir quand il s’y attendrait le moins. Il est quand même plutôt heureux que Yuan lui assure qu’il ne lui devait rien. Ce n’était de toute façon pas ce qui le motiverait à intervenir si un jour le vampire avait besoin de lui… et il n’avait étrangement pas envie que Yuan pense le contraire, même si Hua Feng restait prudent. Prudent parce que Apsara lui avait dit quelque chose qui avait éveillé une certaine culpabilité en lui. Celle d’abandonner Yuan un jour pas si lointain que ça.

Rassuré quand l’autre homme lui assure qu’il sera là à son réveil, Hua Feng s’interroge plutôt sur ce qu’il voulait et ne voulait pas dire. Mais c’était plus facile, plus naturel de se révéler ce soir. Comme Yuan l’avait lui-même fait à propos de son fils vampirique…

« Je n’ai pas une belle histoire à raconter. Mais je n’ai pas besoin de pitié. Je juge avoir eu de belles chances très tôt dans la vie malgré tout. Cette histoire me limite néanmoins à ne connaître que les membres de l’Ordre et non pas une quelconque famille que je pourrais encore avoir en quelque part en Chine. », explique-t-il doucement, sa voix s’affaiblissant alors qu’il se sent engourdir délicieusement. « Ma mère était une mère-enfant qui a été violée par un homme que je n’ai jamais connu. Elle est décédée de froid et de faim dans la rue, un hiver. Une femme de l’Ordre m’a récupéré. Je ne suis pas un petit héritier… »

C’était parfois mal vu. Mais pas de l’Ordre en lui-même. Plutôt des autres enfants. Encore des histoires de cliques. Personne n’y échappait.

« Cette femme a été une figure maternelle importante pour moi, même si elle n’était finalement pas si maternelle que ça. C’était une femme bonne et généreuse, néanmoins. Elle a été assassinée par un vampire alors qu’elle cherchait à ramener un enfant à l’Ordre. », explique-t-il lentement. « J’ai eu une demande de mutation il y a quelques années. Je ne suis pas ici depuis si longtemps que ça. Quatre ans, je crois. Approximativement… »

Rien de bien excitant, finalement.

En toute honnêteté, ce que lui dit Hua Feng avait beau faire sens, ça ne finissait pas de convaincre Yuan. Peut-être que s’ils avaient eu cette conversation il y a mille ou mille cinq-cents ans ça aurait été différent… Mais aujourd’hui, malgré ce qui faisait la force de l’humanité, il avait du mal à la voir autrement que pleine de fragilité. Il n’était pas question de parler de faiblesse au sens le plus péjoratif du terme… C’était juste une impression nouvelle qui naissait ces dernières dizaines d’année à propos de l’existence des hommes.

« Je vois ce que tu veux dire. »

Sur le ton néanmoins de celui qui ne pouvait pas changer d’avis. Et Yuan soupire un peu, ayant un étrange vague à l’âme, partagé entre son affection pour ses semblables, sa répulsion pour les humains qui les haïssait et sa compréhension de cette haine. Il en revient au membre de l’Ordre qui souligne à quel point il a pu vaincre par le passé. Mais Yuan fait remarquer :

« Les victoires et les batailles dont on revient sont rarement d’un grand réconfort face au chagrin de la défaite, pour ceux qui restent. »

Ceci étant dit, parce que Yuan ne voulait pas avoir l’air de sous-entendre qu’il diminuait les victoires de Hua Feng, il ajoute :

« Mais tu es un grand guerrier moderne. Je ne remets pas ta bravoure ni ta puissance au combat en cause. »

La conversation s’éloigne subtilement pour passer sur Xiao Ming et Yuan a un petit sourire en coin alors que l’autre chinois s’interroge sur le nombre d’enfant qu’il pourrait avoir !

« Un seul en 1800 ans, je ne suis pas très prolifique je présume. »

Et d’ajouter, pour alléger la situation :

« Mais pour ma défense je suis resté avec mon élève pendant un peu moins d’un millénaire. »

Ça n’encourageait pas forcément à engendrer d’autres vampires et puis pour parler vrai, il avait eu beaucoup à faire avec Xiao Ming. Pas parce qu’il était mauvais élève, bien au contraire ! Yuan n’aurait pas pu être plus fier du vampire qu’il était devenu, du soldat qu’il avait été au pied levé… Mais il avait toujours eu beaucoup de tempérament et vivait ses émotions de manière extrêmement intense, presque torturée. Alors il s’était entièrement consacré à lui et Yuan n’avait aucun regret même si certains prétendraient peut-être que c’était à cause de ça que Xiao Ming avait aujourd’hui des airs de diva capricieuse.

Yuan tend l’oreille alors que Hua Feng semble sur le point de lui faire une petite confidence. Il ne trahirait ce signe de confiance et il savait qu’il pouvait se considérer chanceux que Hua Feng lui parle de manière aussi transparente, même s’il lui cachait forcément sûrement bien des choses. C’était son cas aussi après tout. Quoi qu’il en soit il acquiesce alors que l’information tombe, admettant :

« Ça ne m’étonne pas beaucoup. »

Mais histoire que Hua Feng sache que ce n’était pas entièrement gratuit, il explique :

« Lorsque je suis devenu un vampire, j’ai été approché par une branche de l’Ordre de cette époque. Pour servir certains dessin politique elle s’est un peu « servit » de moi comme d’autres… Nous étions une dizaine, des mercenaires qui se prenaient pour des soldats d’une juste cause. Et quand certains parmi nous ont commencé à avoir des doutes ou à vouloir se rebeller, l’Ordre a fait le ménage… »

Ça l’avait beaucoup marqué lui aussi et ça expliquait l’amertume ou la réticence qui perçait parfois dans sa voix lorsqu’il remettait l’Ordre en cause.

« Je ne dis pas que nous aurions pu raisonner les autres membres du groupe… Mais ils se sont servis du fait qu’il était facile de nous approcher pour en éliminer plusieurs. C’est un peu comme si… »

Yuan regarde ailleurs un moment, le regard dans le vide, comme réfléchissant, imaginant, visualisant… Et finalement, revenant accroché le regard brun de Hua Feng :

« Un peu comme si tu venais à la Lanterne Bleue demain pour me planter une lame dans le cœur. »

Mais cette trahison là serait infiniment plus douloureuse. D’ailleurs une partie de cette douleur qu’il avait imaginé l’espace d’une seconde avait pu se lire sur son visage ou dans son regard, sûrement. Bref… Yuan apprécie au moins les bons mots à propos de son éducation, ne pouvant s’empêcher d’ajouter :

« C’est quelqu’un de très intelligent. »

Parce que c’était vrai et parce qu’il était fier ! Yuan a un mouvement de la main pour dire qu’il n’y avait pas de problème à propos du sommeil… Mais pour ce qui était des sentiments de Xiao Ming, il convient, par pudeur pour son fils :

« Nous ne parlerons pas de toutes ses raisons ce soir. Le fait que tu sois de l’Ordre devrait t’être suffisant pour le moment, non ? »

Et le fait que ce soit un homme… Que leur relation dépassait déjà psychologiquement celle d’une simple relation « de travail ». Leurs deux âmes avaient sûrement un peu passé le cap des préliminaires déjà !

L’histoire de Hua Feng, elle, est teintée de tristesse malgré le fait qu’il ne veuille pas s’appesantir. D’abord stigmatisé par la cruauté des hommes… Puis celle des vampires. C’était peut-être ce qui l’avait inconsciemment forgé à se tenir entre les deux, qui sait ?

« Ça a fait de toi un bel être humain. »

Et Yuan ne comptant pas simplement s’en tenir là, il vient se poser contre l’homme, sans peser sur lui pour ne pas le blesser. Simplement pour faire communiquer leurs deux chaleurs, surtout qu’il avait mangé il n’y avait pas si longtemps et qu’il irradiait pas mal, là ! Il n’y avait pas de mal à prendre un peu de repos presque enlacé, si ?

Hua Feng appréciait beaucoup ces rares hommes qui savaient accepter une opinion différente de la leur et même lui donner du crédit, sans pour autant se sentir suffisamment interpellés pour changer d’avis eux-mêmes. C’était quelque chose d’assez peu fréquent dans la société moderne. Ça avait probablement toujours été ainsi, mais Hua Feng ne pouvait bien sûr pas en témoigner… Hors, Yuan avait cette qualité qui faisait de lui un encore plus bel homme qu’il ne l’était déjà. Son âme n’était-elle pas déjà perdue aux mains de ce vampire-là, finalement ? Il se fait songeur à ce qu’ajoute l’autre homme au sujet des batailles. Il apprécie sa sensibilité. Celle qui le pousse à ajouter quelques mots pour caresser sa fierté sans l’égratigner. Mais Hua Feng n’en avait pas besoin pour apprécier la qualité du problème soulevé. Ce qui ne le fait pas répondre pour autant. Il n’avait pas les idées en place après les événements de la soirée.

Ça l’amuse, bien que ce sentiment ne se lit guère plus que quelques secondes sur son visage en un très mince sourire, lorsque Yuan précise qu’il n’avait pas été très prolifique en 1800 ans, mais lui il préfère ça ! Pas qu’il ait quelque chose contre la vampirisation quand elle était bien menée. De toute évidence, vu ce qu’ajoute Yuan, il avait encore une fois bien fait les choses.

« On dit que les vampires gardaient leurs petits à leur côté presque toute une vie, à l’époque. », murmure-t-il lentement, songeur à ce sujet. C’est vrai qu’ils n’en avaient jamais parlé ensemble alors que Yuan était probablement sa meilleure source de savoir remontant à cette époque. Mais le sujet n’avait jamais semblé d’intérêt entre eux jusqu’à présent. « C’est très différent de nos jours, il me semble. »

C’est ce qu’il avait constaté, du moins. Peut-être se trompait-il. Yuan raconte une autre partie de son histoire qui aurait certainement pu emplir une bibliothèque complète. Mais étrangement, ça ne donnait pas autant le tournis à Hua Feng qu’il l’eût cru. Par contre, il n’aime pas beaucoup l’histoire qui lui est racontée, même s’il ne peut s’empêcher de se rappeler que tout était une question de point de vue. Nul doute que l’histoire serait légèrement différente s’il avait pu demander à un membre de l’Ordre de cette époque de la lui raconter. S’il avait été un peu plus vieux, Apsara aurait peut-être eu droit à des questions. Non pas pour pouvoir jeter le tort sur Yuan et ses collègues. Plutôt pour se sentir un peu mieux avec sa mission et son Ordre…

« L’Ordre a-t-il changé depuis cette époque ? », demande lentement Hua Feng, redoutant probablement la négation alors même qu’il était toujours ouvert à une interprétation différente selon qui avait vécu l’événement. Il était trop épuisé pour faire cette gymnastique mentale à plein régime. « Un jour, quand je serai dans de bonnes dispositions, je te demanderai qu’elle était cette bonne cause. »

Il avait bien compris qu’elle ne l’était pas fondamentalement. Ou du moins pas pour tout le monde, vu la façon dont Yuan avait abordé le sujet. Il était curieux. Il ne comptait pas le condamner pour autant. Il voulait juste savoir ce qu’un jour avaient été les aspirations de l’homme.

« Je ne planterai rien dans ton cœur. », murmure finalement Hua Feng. Il laisse un moment le silence planer sur leurs deux corps alanguis dans le noir, jusqu’à ce que ce soit la belle voix douce du vampire qui s’élève à nouveau pour ajouter quelques mots sur ce fils vampirique qui semblait avoir tout un caractère… Caractère qui faisait la fierté de Yuan, de toute évidence. Puis, cette belle voix vient plutôt mettre un baume sur son passé, bien que Hua Feng ne soit pas si mal en point à ce sujet. Il tourne la tête vers l’homme, songeant encore à ce qu’il avait dit avant tout ça… Son nez glisse doucement sur une joue de soie alors que le corps de Yuan se presse contre le siens. Et juste avant que ses lèvres ne trouvent comme par magie celles de l’autre homme, il murmure : « Je ne te blesserai jamais volontairement. »

Et sur ce, respectant douloureusement cette promesse, il se détourne de Yuan, fermant à nouveau les yeux et restant loin de ces lèvres tant convoitées alors que l’obscurité l’assaille encore une fois…

Yuan a un petit sourire amusé malgré tout devant la façon de dire de Hua Feng. Mais il comprenait la formulation, surtout qu’elle était liée à une image très « humaine » de la transformation que certains vampires possédaient eux-même. Yuan n’était pas le dernier à ce chapitre, ne pouvant s’empêcher de songer à Xiao Ming comme à son fils… Mais histoire que Hua Feng ait toutes les clefs pour comprendre un peu l’homme qu’il avait un jour transformé :

« Je n’ai jamais vu Xiao Ming comme mon « petit ». Comme mon fils oui… Mais je l’ai toujours traité comme un homme, ce qu'il était du reste. Peut-être que c’était une erreur ou que c’est pour ça qu’il cherche à s’émanciper toujours plus fort de l’ombre que je suis au dessus de sa tête à ses yeux. »

Il ne savait pas. Est-ce qu’il s’était trompé ? Est-ce qu'il aurait dû être plus comme Tian ? Xiao Ming avait-il manqué de tendresse de sa part ? Bref… Ceci étant dit il ne pouvait qu’approuver ce que l’autre chinois constatait :

« Oui, aujourd’hui de plus en plus de vampires abandonnent leurs « progénitures » après quelques années, parfois même pas autant. »

C’était scandaleux… Ca révulsait positivement Yuan, soyons clair !

« Peut-être qu’à l’époque on les gardait un peu trop. Difficile à dire. Mais le monde a évolué très très vite… Même les enfants humains quittent le nid familial de plus en plus tôt. »

C’était une sorte de fatalité… Mais elle savait être paradoxale aussi…

« C’est d’ailleurs étrange sachant qu’à mon époque on était un homme ou une femme à 14 ans et qu’ici on entre pas vraiment dans la case adulte avant 20 ans. »

Bien sûr il y avait aussi la question de la longévité… A vie plus courte, étapes de la vie plus rapides… Mais quand même, il n’y avait pas « que ça » et Yuan savait que Hua Feng le comprenait parce qu’il avait cette capacité. Il ne savait pas si l’homme usait de cette même capacité avec d’autres que lui et ce soir il ne voulait pas savoir, au risque d’éprouver cette jalousie qui lui était si peu coutumière. Mais après la peur et ce rapprochement qu’ils opéraient, disons que Yuan n’avait pas envie de dealer avec une quelconque concurrence.

A propos de l’Ordre, Yuan réfléchit… Avant de convenir :

« Honnêtement je ne pourrais être formel. Vous restez très secrets… Mais rien que ton post, amélioré depuis la grande révélation, a subit un changement non négligeable que j’estime positif. Vous étiez plus directif à une autre époque, je crois. »

Plus « maître des lieux » dans leur comportement… Mais pour être juste, Yuan reconnaît :

« Mais j’ai connu fort peu de tes semblables en réalité. Je m’en suis tenu loin et je n’avais d’atomes crochus avec aucun d’entre eux. Notre relation est particulière. »

Il était tout disposé à le reconnaître sans rougir. De toute façon, essayer de le nier aurait été une pure perte vu l’instant présent, non ? Bref. Un petit sourire paraît à nouveau sur le visage de Yuan à l’affirmation de Hua Feng. Il pourrait lui demander mais Yuan ne pouvait encore promettre de lui répondre. Ils aviseraient le moment venu, disons.

Ils se rapprochent au milieu d’une promesse un peu surprenante. Yuan ne jouerait pas le cliché de demander « même pas de l’amour ? » mais il l’avait sur le bord des lèvres. Et s’il voulait réellement regarder la vérité en face : qu’importe ce que Hua Feng en disait : c’était déjà planté et les racines s’étaient enroulées fermement autour de cet organe mort dont elles créaient par spasmes un semblant de battement, 1800 ans plus tard… Sauf que si Yuan est convaincu qu’il fera plus que sentir le souffle de l’homme contre ses lèvres il se trompe… Car au milieu de cette caresse quasi charnelle pour lui qui vivait un peu comme un esthète, voilà que l’homme se détourne de lui après de bien énigmatiques paroles…

L’envie d’y revenir est forte et Yuan l’envisage un moment fortement, se sentant déjà refroidir après la chaleur que cette présence lui avait apportée… Mais finalement il se tait. Ce n’était peut-être pas la meilleure des idées mais il était plus bouleversé qu’il ne saurait le dire, l’admettre et le montrer… Que Hua Feng ne pense pas qu’ils en avaient terminés là néanmoins… Yuan allait mûrir cette réflexion… Et ils en reparleraient…