Yuan avait été obligé d’attendre la nuit pour sortir, évidemment. Il avait fait fermer la Lanterne Bleue, exceptionnellement et renvoyé tous ses employés chez eux. Une fois seul il s’était sentit nauséeux. C’était une sensation étrange qu’en général seule la nourriture en trop grande abondance pouvait lui donner et il y prenait garde. Hee Chul était mort. Après délibération au Conseil la décision avait été prises, pour plusieurs raisons. Des tensions avaient évidemment fait surface, des cris avaient été lancé, des menaces envoyées par simples jeux de regards… Il connaissait ce vampire depuis 300 ans… Ca avait été une perte très intense et puis surtout, lorsqu’il avait fallut proposer quelqu’un, c’est un peu à contre-coeur qu’il avait parlé de Hua Feng.

Il se doutait que ça devait avoir été toute une épreuve. Mettre un terme à la vie de quelqu’un, même d’un vampire, qui n’avait pas les moyens de se défendre et qui n’était qu’une victime, ce n’était pas comme tuer pour se défendre ou pour sauver des vies. Mais Yuan avait eu besoin d’une main sûre et d’un cœur qui ne prendrait aucun plaisir à voir l’existence d’un des siens s’abréger. De quelqu’un qui témoignerait une dernière dose de respect pour cet homme qu’il avait lui-même beaucoup respecté. Et depuis cette décision il n’avait même pas pu parler à Hua Feng. Il savait juste que ça avait été fait, que Hee Chul n’était plus… Et que Hua Feng n’avait pas été revu en ville après ça.

C’est pour ça qu’il était de retour à Gwanak-gu et qu’il était finalement entré dans cet immeuble qui comptait trop de goshiwon pour qu’il s’amuse à les dénombrer. Hua Feng ne lui avait pas spécialement donné son adresse mais on avait accepté de la lui donner pour qu’il s’y rendre. Privilège de membre du Conseil peut-être… Bref.

Yuan avait attendu un moment devant la porte du membre de l’Ordre sans rien dire, sans bouger. Il se demandait si Hua Feng lui en voulait de l’avoir mis dans cette position délicate même si officiellement la demande émanait du Conseil tout entier. Finalement il frappe, attend quelques instants et après plusieurs minutes son ouïe exercée peut entendre la silhouette du chinois qui se déplie pour se lever et venir lui ouvrir la porte. Il y a un peu de trouble du côté de Hua Feng, à moins qu’il ne l’imagine seulement…

« Bonsoir, Hua Feng. »

Son regard passe par dessus la silhouette haute et aux épaules carrées pour deviner l’appartement minuscule derrière l’autre chinois. Un peu comme ces terrariums en bonbonnière qu’on faisait pour les plantes… Quelque chose d’extrêmement étroit en sommes mais qui possédait tout le nécessaire pour vivre, probablement. L’étroitesse des lieux contrastait néanmoins avec la hauteur sous plafond de la taille de Hua Feng, disons.

« Je venais voir comment tu allais. Te remercier aussi. Et m’excuser, enfin. »

Il vivait son deuil mais pas sans assez de recule pour ignorer qu’il devait au moins tout ça à Hua Feng. Au nom du Grand Conseil des Cinq évidemment… Mais pas seulement. En son nom à lui aussi. Parce que ça avait soulagé son chagrin que de savoir que c’était lui qui allait s’en charger.

« Est-ce que je peux entrer ? »

C’était pour mesurer un peu à quel point Hua Feng pouvait lui en vouloir… Si c’était au point de le laisser dans le couloir ou bien si au contraire, son ressentiment était peu présent voir absent. Il avait le caractère de « comprendre » les raisons de Yuan… Mais voulait-il les entendre ?

« Ca a été une journée compliquée pour toi comme pour moi… Je viens au nom du Conseil… Mais pas seulement. Je viens en tant qu’homme aussi. En tant qu’ami. »

Et, il lui semblait un rien de plus que ça. Du moins c’était ce que leur conversation sur l’oreiller avait semblé dire pour lui et parler de « conversation sur l’oreiller » était à prendre au premier degré. Hua Feng était blessé ce soir là… Il devait encore être en train de se rétablir d’ailleurs. De fait :

« Comment te sens-tu ? Physiquement et psychologiquement. »

Ce n’était pas le jour pour parler de ce qui s’était passé entre eux quelques temps plus tôt. Ou plutôt, pour parler de ce qui ne s’était pas passé, parce que ça aurait sûrement été plus juste de le dire comme ça.

« Ca m’a été très pénible de devoir attendre la tombée de la nuit pour venir à ta rencontre. »

Il avait un peu espéré que Hua Feng viendrait jusqu’à la Lanterne laissée déserte mais il ne pouvait lui en vouloir d’avoir préféré retourner dans son propre cocon. D’une certaine façon, que ce dernier soit si petit, ça devait avoir quelque chose de réconfortant, n’est-ce pas… ?

Hua Feng était chez lui. Le sommeil ne venait pas. En fait… le sommeil ne viendrait pas. Pas cette nuit. Pourtant, c’était rare, mais ce soir quelqu’un de l’Ordre était venu le voir. Quelqu’un qui avait un rôle assez important pour ne pas se déplacer de la sorte, habituellement. On lui avait demandé de prendre une pause. De dormir tout son saoul. De profiter de ses journées autrement qu’en pensant aux vampires et à leurs problèmes qui étaient un peu devenus les siens ces derniers temps. Il avait accepté sans même protester, signe que malgré tout, Hua Feng était au bout du rouleau. Entre l’agression dont il avait été victime à la fin du mois passé et maintenant « ça », le changement d’année n’était pas une sinécure. Heureusement qu’il n’était pas du genre à croire qu’une malédiction puisse peser sur une année, parce qu’il jugerait que 2020 ne serait pas son année.

Mais voilà… la scène se rejouait dans sa tête sans arrêt. Pour la première fois de sa vie, Hua Feng était incapable de mettre un frein à ses émotions, qui s’emballaient et se mêlaient au souvenir trop vif de ce qu’il avait dû faire aujourd’hui. Il tournait et retournait dans son lit trop petit, mais la petitesse de son goshiwon était presque rassurante, cette nuit. Pourtant, alors que son regard automnal scrutait sans réellement le voir le plafond, la lumière étant fermée, quelqu’un toque soudainement à sa porte. C’était inhabituel. Il ne recevait jamais de visite. Un instant, il pense à Hye Won… et prie intensément pour que ça ne soit pas son ex, qui viendrait probablement se réjouir de la mort d’un membre du conseil. La nouvelle devait être allée jusqu’à elle, à présent… Mais il ne pouvait pas tenir une conversation de la sorte. Pas ce soir. La seule pensée de le faire le rendait malade.

C’est pourquoi Hua Feng ne bouge pas dans un premier temps. Il ne saurait même pas dire combien de temps il reste immobile, dans son lit. Puis finalement, il se relève, les ressorts grinçant sous son poids alors qu’il quitte son matelas inconfortable. Il pose la main sur la poignée de la porte, prenant une profonde inspiration… et l’ouvre. La fraîcheur du couloir s’invite sur l’épiderme nu de son torse, lui arrachant un bref frisson. Mais il le sent à peine. Son cerveau était trop occupé à décortiquer ce qu’il avait sous les yeux. Ou plutôt, celui qu’il avait sous les yeux. Fan Yuan. Il était bel et bien là, drapé dans des vêtements sombres choisis avec soin. Ou peut-être pas, cette nuit. Un peu de khôl avait glissé sous ses yeux en amande, signe qu’il devait lui aussi avoir tourné depuis plusieurs heures…

« Yuan. »

Hua Feng a un bref signe de la tête, ses salutations à lui ce soir. Il y a beaucoup de choses au planning du vampire, ce soir. Le membre de l’Ordre se pousse néanmoins comme il peut pour le laisser entrer. Tout ici était planifié au millimètre près. L’emplacement du lit, du bureau et du mini frigo… Les trois seuls meubles qu’il possédait. Et un seul homme, pas deux et peut-être même pas un de la taille de Hua Feng, finalement. Mais, ils y arrivent et il referme la porte. Il ouvre la lumière aussi, parce que le regard de Yuan était peut-être parfaitement adapté à l’obscurité, mais pas le siens.

« Tu n’as pas d’excuses à me faire, Yuan. », fait remarquer Hua Feng, sa voix un peu plus rauque qu’à l’habitude. Il couvait peut-être un petit quelque chose qui partirait vite. Il se sentait légèrement fiévreux, aussi. Mais rien de grave. Les émotions. Et inclinant la tête devant le membre du conseil vampirique, il ajoute : « Toutes mes condoléances. »

Parce qu’il les devait à qui de droit. Yuan connaissait Kim Hee Chul depuis très longtemps. Ils avaient travaillé ensemble. Sûrement partagé un verre à l’occasion et même plus. C’était une perte qui dépassait les protocoles de la diplomatie. Il s’assoit sur son lit… et observe un peu autour de lui avant de finalement faire signe à l’homme d’en faire de même. Ils n’avaient pas mille possibilités… et sa chaise de bureau, petite et coincée, avait accueilli ses vêtements de la journée. Il ne faisait habituellement jamais ça. Dans un si petit espace de vie, il fallait être organisé. Mais, ce soir, il était trop épuisé pour en faire plus. Ou peut-être qu’il s’était permis avoir la flemme.

« Je préfère que tu ne viennes pas en tant que membre du conseil, en fait. », murmure lentement le grand Chinois, son regard posé sur ses mains. Et répondant indirectement à la question de Yuan à propos de son bien-être, il ajoute en explications à ce qu’il venait de dire : « L’Ordre m’a mis en arrêt de travail pour ces prochains temps. »

Et pour la première fois de sa vie, il avait décidé d’écouter non seulement ceux qui voulaient l’arrêter, mais aussi sa propre santé. S’il ne répond pas à ce qui suit, ça fait néanmoins du bien de savoir que Yuan avait attendu inlassablement que les minutes passent, ne pouvant chasser la hâte de le rejoindre.

« J’essayais de dormir. », murmure-t-il lentement… avant de finalement pousser un soupir en relevant la tête. Il pose ses mains sur le matelas, derrière lui, ajoutant simplement : « Je ne parviendrai pas à dormir. »

Il l’avait déjà dit et pensé lors du premier meurtre. Celui dans la cour de l’Université… mais Hua Feng ajoute finalement :

« Il faut trouver celui qui fait ça. C’est un monstre… »

Lui, il le ressentait aussi fortement pour cette femme indéniablement humaine que pour ce vampire pluricentenaire qui n’avait pas mérité cette terrible destinée.

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont à l’étroit. Yuan se doute que Hua Feng n’est pas assez souvent chez lui pour réellement en souffrir et il avait donc supposé que c’était un cocon actuellement… Mais seigneur… Lui deviendrait claustrophobe à vivre dans un endroit pareil. Ils entre à deux dans l’espace exigu mais clairement on en n’aurait pas entrer plus. Mais peu importe… Rien qu’à la voix un peu rauque, un peu enrouée, éraillée… On sent que Hua Feng n’est pas dans son assiette. Elle reste précise, posée… Mais ça ne tombe pas de la même façon que d’ordinaire dans ses oreilles.

Yuan a un signe de la tête pour remercier aux condoléances. Il apprécie que Hua Feng se donne encore la peine de songer à ce genre de choses.

« C’est toujours compliqué de perdre une personne qu’on aime. Surtout de manière aussi brutale... »

Il marque une pause, faisant néanmoins remarquer avec philosophie, pour ne pas laisser la tristesse de ce moment surpasser tout le reste :

« Mais ça fait partit du cycle de la vie. C’est le début d’autre chose, pour le Conseil notamment. »

Certes Hee Chul et Tian se ressemblaient énormément sur le papier… Mais ils avaient eu une vie différente, possédaient un recul qui l’était tout autant…

Yuan vient s’asseoir sur le rebord du lit lorsqu’il y est invité, notant avec un petit sourire :

« C’est mignon chez toi. »

C’était plutôt de l’Ordre de la politesse parce que l’endroit était très peu personnalisé finalement. Il aurait bien plaisanté sur l’étroitesse de l’endroit mais il n’était pas sûr que le moment aurait été bien choisit pour ça. Yuan est soulagé d’apprendre que Hua Feng lui préfère une compagnie amical plutôt qu’officielle et il vient poser une main sur le genoux de l’autre chinois en signe de réconfort.

« C’est une bonne chose, non ? Tu vas sûrement avoir besoin de repos… Mais je ne suis pas sûr que rester en solitaire soit une bonne chose en revanche. »

Il marque une pause à ce moment précis avant de suggérer :

« Tu pourrais venir chez moi si tu voulais. J’ai une chambre d’ami à l’étage supérieur… Avec des fenêtres baignées de soleil lorsqu’il brille. »

Si jamais ! Cette chambre avait été la sienne -rideaux et volets fermés évidemment!- jusqu’à ce qu’il fasse installer ses appartements au sous sol une fois ce dernier correctement réaménagé pour ça.

« Tout ce que je saurais te conseiller pour dormir serait sûrement qualifié de remède de grand-mère aujourd’hui. »

Ils l’étaient déjà un peu à l’époque où on les lui avait enseigné ! Quoi qu’il en soit Yuan acquiesce à propos de ce qui est de retrouver l’auteur de ces crimes et d’une certaine façon, ça fait du bien à Yuan de voir que Hua Feng ne considère pas ce dernier crime comme « moins important ».

« Je crois que hommes comme vampires sont du même avis pour une fois. »

C’était triste que ce soit dans ce genre de situation hélas. Et bien sûr, ça ne signifiait pas qu’ils allaient œuvrer main dans la main.

« Est-ce que tu veux que nous parlions d’aujourd’hui ? »

Yuan marque une nouvelle pause… Avant d’avouer :

« Tu as dit que je n’avais pas d’excuses à te faire mais je crois que si, au contraire. Et des remerciements encore aussi... C’est moi qui ait donné ton nom au Conseil. Je l’ai même plus ou moins imposé, je crois... »

Cette réunion du Grand Conseil des Cinq n’avait pas été une maigre affaire d’ailleurs… Il se sentait encore épuisé rien que d’y songer. Personne n’était réellement partit satisfait aujourd’hui.

« Comme tu l’as supposé je pense, Hee Chul était un ami de très longue date… Je voulais être certain qu’il serait traité avec le respect qui lui était dû… Que celui qui abrégerait son existence n’y prendrait aucun plaisir malsain... »

Évidemment, par conséquent, ça avait dû être quelque chose de très traumatisant pour Hua Feng.

« C’est très égoïste de ma part mais j’ai été soulagé de savoir que tu acceptais… Ca a rendu les choses moins difficile pour moi. »

Yuan et lui avaient quelques points en commun… dont celui de savoir être posé même dans l’adversité, probablement. Hua Feng n’est pas choqué alors que malgré sa douleur, le vampire choisit d’aller de l’avant. Au contraire, il admire sa force de caractère et son esprit logique. Il opine donc légèrement pour marquer son accord à ce qui avait été dit. Il savait que ça pouvait adoucir les angles, mais la douleur restait présente. Ça lui fait forcément penser à ce nouveau membre de l’Ordre, néanmoins. Un Chinois. C’était une drôle de coïncidence… mais ça facilitait son travail puisque ces vieux vampires se plaisaient beaucoup à dialoguer dans leur langue maternelle, habituellement. Il en usait donc sans avoir besoin de se forcer. Lui aussi aimait parler chinois. Il le savourait dès qu’il était en présence de Yuan.

« Lorsque je reprendrai le travail, j’irai rencontrer Wang Tian. », décrète-t-il. C’était probablement attendu… mais il voulait quand même aborder le sujet, sans trop savoir pourquoi. En tout cas, il était au courant, oui. C’est l’Ordre qui l’en avait informé et il lui en était reconnaissant. « Tu le connais depuis longtemps ? »

Il devait un minimum avoir connaissance de qui il était. Mais Hua Feng voulait savoir s’il en savait plus sur lui que juste le fait qu’il serait un bon membre pour siéger au conseil des cinq. Par contre, voilà que Yuan commente son… espace intérieur, si on pouvait le qualifier de tel. Hua Feng arque un sourcil. Mais ça lui arrache quand même un petit sourire, ce qui n’était pas gagné d’avance, surtout qu’il était toujours si stoïque.

« J’admire la bienséance dont tu fais toujours preuve, Yuan. », taquine doucement le membre de l’Ordre. Il a un regard autour d’eux pour… pas grand-chose, soyons franc. Il n’y avait rien à voir. Il y avait son parfum dans la pièce et quelques petites choses à lui. Rien de bien révélateur. Il n’avait pas la place pour ça. Sur son bureau, les tonfas se battaient en duel avec les poings américains. De toute évidence, la tradition et la modernité étaient deux forces chez Hua Feng. Il y avait aussi quelques petites babioles. Une gourde. Un pendentif qu’il devait rendre à Hye Won parce qu’il l’avait trouvé dans un coin impossible de sa chambre récemment. Il devait être là depuis au moins mille ans et ne lui appartenait même pas. Il ne s’en souvenait pas, en tout cas. Quelques morceaux de vêtement. Des bijoux, cette fois bien masculins et bel et bien à lui… Bref. Rien d’intéressant. « Je n’y suis pas souvent, en règle générale. Et n’ayant pas les moyens de me payer plus grand, ça dépanne. »

C’était ça, vouer sa vie à l’Ordre en faisant un métier qui ne rapportait pas monétairement… Mais il ne s’en plaignait pas. Il aurait pu vivre au quartier général de l’Ordre après tout. Une main gracieuse et masculine se pose sur son genou. Il l’observe un moment, puis pose la sienne dessus.

« Merci. J’y penserai. Mais… », commence lentement Hua Feng. Il réalisait qu’il avait un peu de mal à se décider à le dire à Yuan. Il n’aurait pas cru. « Je vais aller en Chine. J’en ai besoin. Un mois. Peut-être plus… »

Son regard cherche celui de Yuan lorsqu’il a finalement terminé d’annoncer la nouvelle, grave. Il opine lentement à propos des remèdes de grand-mère qui ne seraient peut-être pas de trop, malgré tout… et finalement, à la suite, il a un bref soupir.

« Non. », décrète-t-il simplement avant de néanmoins ajouter : « Si je devais en parler, ce serait avec toi. Mais je n’ai pas l’énergie de le faire, présentement. »

Ça lui avait demandé de grandes ressources dans ce domaine… En parler serait encore pire. Peut-être que ça viendrait. Si c’était le cas, c’est à Yuan qu’il en parlerait. Puis, le vampire lui admet avoir été celui qui avait soumis son nom. Pour être franc… il n’était pas très surpris. Il s’en doutait. Ça n’alimentait pourtant pas de rage envers Yuan. Il comprenait. Et au contraire, il était touché. Il referme ses doigts sur ceux du vampire, caressant la main de son pouce quelques secondes avant d’entremêler leurs doigts.

« Merci de la confiance que tu me témoignes, alors. J’espère en avoir été digne. », convient-il simplement, regard posé sur leurs deux mains. « Je n’y ai effectivement pris aucun plaisir. »

Que Yuan se rassure. Il faudrait être tordu pour que ce soit le cas. Et pourtant, il pouvait nommer bien des gens qui en auraient rit devant une bonne bière avec d’autres chasseurs après coup…

Décidément, c’était étrange. La dernière fois qu’ils avaient fait un vrai tête à tête au domicile de l’un d’eux, ils avaient abordé le sujet « Lawrence ». Et voilà qu’aujourd’hui, c’était au tour de Tian. Ça faisait remonter bien des choses liées au passé et pendant un instant, Yuan observe simplement Hua Feng, grave, comme s’il n’avait pas entendu sa question. Pourtant il l’a bel et bien entendu oui… Et après peut-être deux ou trois interminables minutes pendant lesquelles Hua Feng se contente d’attendre, sûrement conscient qu’une réponse viendrait, Yuan acquiesce.

« Je l’ai connu presque toute ma vie. »

Il marque une pause avant de demander :

« Tu te souviens lorsque je t’ai dit que j’ai appartenu à un groupe mercenaire ? »

Puisque ça semble être le cas il explique :

« Tian en faisait partie. Depuis le tout début ou presque. Nous avons été frères d’armes pendant des siècles. Jusqu’à la séparation du groupe dont je t’ai parlé, il y a environs 300 ans. »

Lui qui n’avait quasi pas évoqué ce groupe et cette séparation pendant trois siècles semblait ne plus parler que de ça dernièrement. Evidemment, le fait que les deux autres vampires encore en vie de ce groupe soient arrivés depuis peu en Corée jouait pour beaucoup. Mais ça restait un sentiment un peu étrange.

« Si tu connaissais son prédécesseur tu vas leur trouver beaucoup de points en commun. Malgré son passé, Tian est un pacifique convaincu et acharné. Ho il défendrait ceux qui sont sous sa protection sans se fixer forcément de limites… Mais autours de la table du Grand Conseil, tu devrais trouver en lui un allier éventuel de poids. »

Disons au moins quelqu’un qui l’écouterait et qui saurait voir la sagesse de ses paroles là où parfois Yuan lui-même ne la voyait pas !

« C’est quelqu’un de bien. Un ami qui m’est cher de longue date. »

Et pour l’anecdote amusante :

« A son arrivée à Séoul il a trouvé des chatons dans un vieux carton sous la pluie. Je n’ai pas eu beaucoup de chance de refuser. »

Du coup, si Hua Feng avait vu son chaton, c’est de là qu’il venait ! Quant à sa bienséance il a lui-même un petit sourire amusé, sans en rajouter ! Ils savaient tous les deux ce qu’il en était n’est-ce pas ?

« Être dans l’Ordre, c’est beaucoup d’abnégation, il semblerait. »

Vivre aussi pauvrement… Quoi qu’il fût mal placé pour juger : il avait vécu dans une relative pauvreté longtemps lui aussi avant que les guerres ne le rendent riches… Puis que son établissement lui permette de s’enrichir encore davantage.

Son invitation est repoussée néanmoins… Presque en même temps qu’une nouvelle information lui est donnée. Elle est surprenante et pourtant elle faisait bien du sens sûrement. Lui-même se plaisait parfois à retourner en Chine pour une sorte de « retour aux sources ». Mais il n’avait jamais entendu Hua Feng étudié l’option « retour en Chine ». Il en avait presque oublié que l’homme pouvait avoir pour ce pays peut-être autant d’affection que lui.

« Est-ce que tu es sûr de revenir ? »

Parce qu’il n’avait pas l’air de pouvoir fixer un retour. Ça lui faisait mal au cœur, c’était l’évidence même. Mais ça n’aurait pas eu de sens ou de valeur sociale qu’il lui demande de ne pas partir. Et puis… Qu’est-ce que ça aurait changé, de toute façon, qu’il en fasse la demande ?

La main de Yuan vient brièvement jusqu’au pendentif de l’Ordre au cou de l’autre homme. Il le prend dans sa main, glisse son pouce sur le dessus, songeur… Puis le relâche.

« Je vais attendre que tu reviennes. »

Il avait tout le temps… Et de fait il ajoute :

« Que ça prenne un moi, un an ou une décennie. »

Il allait l’attendre oui. Bien sûr il avait conscience que le temps aurait passé. Pour lui qui en avait tant ça n’avait guère d’importance. Il attendrait fidèlement. Mais Hua Feng, lui, si cette absence devait s’éterniser ?

Cette caresse sur sa main lui offre néanmoins l’espoir que l’homme reviendra vite. Ils avaient des choses à se dire, ça devenait de plus en plus évident pour Yuan. Mais bien sûr « ce soir » n’était pas le moment pour ça. Ça aurait été mal venu compte tenu des circonstances.

« Merci. »

Pour les derniers mots réconfortants. Il n’hésiterait pas à les répéter à qui voudrait l’entendre, au Conseil. Pour le réconfort et pour ceux -Lawrence… ?!- qui ne pensaient pas que Hua Feng était parfait pour cette tâche.

« Est-ce que tu as besoin d’être seul… ? »

Il n’avait pas envie de partir… Pas sachant que Hua Feng allait quitter la Corée avant qu’ils n’aient la chance de se revoir sûrement… Mais s’imposer alors que l’ambiance était si lourde aurait peut-être de pires conséquences encore…

Dix secondes de silence quand on attend une réponse, c’est très long. Hua Feng est patient. Mais au bout des trois minutes, il est convaincu que finalement, Yuan ne répondra pas et en est inquiet. Il n’avait rien d’un sage bouddhiste, les seuls qui pourraient sûrement prendre ce si long silence sans broncher ! Alors quand Yuan reprend la parole, il ne peut qu’être un peu surpris dans un premier temps. Il ne dit rien toutefois, même s’il fronce doucement les sourcils. Ainsi donc, ce Tian était aussi une vieille connaissance. Maintenant, on parlait de son fils, son vieil ami et lui-même. Hua Feng avait confiance en Yuan personnellement. Mais, il ne pouvait pas fermer les yeux indéfiniment sur ce qui était en train d’arriver dans le conseil. Et en même temps, il était un peu las. Il était supposé être en vacances forcées, non…?

« Tu sais que je dois poser la question. Mais je ne le ferai qu’une fois. », promet Hua Feng, un compromis qu’il trouvait juste dans ces circonstances. « Vous n’êtes pas majoritaires pour les voix au conseil, maintenant… n’est-ce pas ? »

Ils avaient bien chacun leurs propres opinions et ne comptait pas faire bloc contre le reste pour imposer une fausse démocratie ? Même si ça semblait ne concerner que les vampires, ça pouvait grandement affecter l’Ordre aussi. Alors il devait savoir. Toutefois, à la description qu’en fait Yuan, il comprend que le problème ne prend forme que si on s’attarde uniquement à la surface. Il voyait. Et il y avait fort à parier que trouver un tel vampire parmi un des cinq membres du conseil était judicieux et pratique pour l’Ordre. Du moins, il l’espérait.

« Alors je suis impatient de le rencontrer. », assure Hua Feng. Ce n’était qu’une façon de parler. Hua Feng n’était pour ainsi dire jamais impatient de rien et Yuan le savait probablement. La suite le surprend un peu plus par contre et pour être sûr d’avoir bien compris, il demande : « Tu as un chat ? »

Yuan s’était vraiment retrouvé avec… un animal ? Ça, c’était plutôt amusant. Quant à ce qu’il sacrifiait au nom de l’Ordre, il prend deux secondes pour réfléchir. Peut-être. Il ne l’avait jamais vu ainsi. Mais c’est sûr que ça pouvait être discutable.

« Je pourrais en faire moins pour l’Ordre et avoir un véritable emploi. Ou même avoir un véritable emploi qui sert l’Ordre. C’est un choix personnel. », assure-t-il doucement. Mais il ne demandait pas à Yuan de comprendre. Il voyait bien où il était difficile de tout bien saisir… Hua Feng ne répond pas lorsque le vampire lui demande s’il va revenir. Il ne savait pas. C’était un peu confus dans sa tête présentement… Il observe la main qui vient contre le pendentif qui avait tant de valeur à ses yeux. Écoute des paroles qui en avaient peut-être encore plus… et finalement, se penchant, il vient déposer un doux baiser sur une joue de l’autre homme. « Merci. »

De l’attendre. D’être aussi résiliant. Ce n’était plus difficile que pour lui à présent, il le réalisait bien. Ses choix et ses combats semblaient maintenant affecter Yuan aussi… Une question ensuite. Hua Feng semble entendre, sous celle-ci, le désir de rester. Mais sans s’imposer. Et c’est apprécié, bien qu’il secoue négativement la tête.

« Non. Mais j’ai besoin de rester ici ce soir, par contre. », explique-t-il simplement. Même si l’endroit était exigu. Même si ça déplaisait sûrement à Yuan. Il était libre de partir. Mais il pouvait rester, aussi… « Il y a encore des choses que tu veux me raconter de ton passé ? Parce que je suis disposé à écouter toute la nuit… »

Des histoires, qu’elles soient vraies ou pas, qu’elles concernent directement Yuan ou juste les époques qu’il avait traversé… Il avait envie d’en entendre, racontées par la jolie voix de l’autre Chinois, dans cette langue natale qu’ils avaient en commun et qu’ils chérissaient tous les deux…

« Même au repos, les vieux réflexes reviennent visiblement vite. »

Ce n’était pas une critique en soit… Mais Hua Feng le premier avait parlé de leur rencontre comme n’ayant rien de professionnelle, même s’il ne l’avait pas dit exactement comme ça. Et pourtant voilà que lorsque l’occasion se présentait, il investiguait un peu. Peu importe… Yuan écoute la question avant de faire remarquer :

« Au stricte sens du nombre, si. »

Ils étaient trois sur cinq… Ceci étant dit :

« Mais il n’y a pas coalition si c’est ta question. Nous avons trois personnalités très différentes et des avis qui le sont tout autant. Des avis très tranchés d’ailleurs sûrement. »

Tian était la bonne pâte de leur trio… Puis venait lui probablement et finalement Xiao Ming qui était encore un peu dominé par sa fougue. Mais même sans ça, il avait des opinions extrêmement tranchées. Bref.

Yuan acquiesce à propos d’une rencontre future entre les deux hommes. Il n’imaginait pas que ça puisse mal se passer. Tian était une personne bienveillante et là où il n’aurait pas su dire comment une rencontre pouvait se passer entre Hua Feng et Xiao Ming, il se faisait assez peu de soucis à propos de Tian ! Quant au chat :

« Oui, ça va faire un peu moins d’un mois. Il n’a même pas encore de nom. »

Il y avait réfléchit sans jamais réellement s’arrêter sur quelque chose alors pour le moment il se contentait d’appeler l’animal de petites onomatopées qu’on réserve généralement aux animaux ou peut-être aux bébés !

« Il fait sa vie en général. Mais il revient toujours à la Lanterne Bleue. »

Dans ses appartements au sous-sol. Yuan lui avait acheté un panier récemment mais l’animal s’entêtait à venir dormir sur son oreiller ! Après l’avoir chassé quelques fois, Yuan s’était néanmoins résigné à le laisser. Franchement ça demandait trop d’énergie de le dégager ! Et puis lorsqu’il se couchait, l’animal allait généralement sur la place à côté ou bien au bout du lit, sans l’embêter… Du coup…

« Tian les a trouvé, lui et quelques autres, dans un carton sous la pluie. »

Il savait qu’il donnait pas l’impression d’être le genre à recueillir des chatons comme ça mais… Ca avait été une question de circonstances probablement. Et puis il n’avait pas besoin de le sortir, ça réglait le problème de journées entière passées à la maison. Au moins ce chat pouvait sortir. Il était encore tout jeune mais très débrouillard !

Il n’y a ensuite que le silence qui répond à Hua Feng à propos de l’Ordre et de la place que cette organisation si ancienne avait pris dans la vie de l’autre chinois. Ca l’étourdissait un peu cette dévotion et pourtant à une autre époque il avait sûrement eu la même envers la Chine et différents empereurs… C’était juste plus difficile à accepter lorsque ça éloignait une personne qui nous était chère. D’ailleurs, finalement, relâchant le bijou autour du cou de Hua Feng :

« Tu vas me manquer. »

C’était sincère. Et après ce baiser sur sa joue, il convient d’ailleurs, calmement :

« Donner de l’amitié à qui meurt d’amour, c’est un peu cruel. »

Il ne parlait pas sentiment ouvertement mais il savait que Hua Feng avait compris. Il avait de son côté dépassé le stade de la simple entente avec le membre de l’Ordre et même si le temps n’était pas quelque chose qui lui manquait, l’impatience se faisait parfois sentir… Et c’était pire quand, comme ce soir, l’objet de son désire lui annonçait partir sans avoir de date de retour à lui offrir.

« Je peux te faire le récit de quelques aventures, si tu veux, le temps que tu t’endormes. »

Il quitterait alors, l’âme un peu en peine, se demandant si Hua Feng reviendrait jamais et si oui : quand ? Xiao Ming détestait cet homme pour cette dépendance qu’il avait créé chez lui… Mais tout le mal que Yuan lui souhaitait c’était d’éprouver le même, qu’il réalise que c’était peut-être une légère faiblesse… Mais parfois une grande force et au minimum, une grande source de réconfort.

« Si tu n’as pas de période préférée, je commencerais de mon vivant. »

Évoquer la femme qu’il avait épousé, l’amour d’une vie… Et les enfants qu’il n’avait pas vu grandir. Peut-être pas l’histoire la plus heureuse… Mais Yuan n’avait que des bons souvenirs à leur propos. En parler lui ferait peut-être du bien à lui aussi, finalement…