Mars 2020

Quand il l’avait vu sortir de la Lanterne Bleue, Haruya y avait à peine cru. Voilà deux ans qu’il était en Corée… et il apprenait tout juste, par la plus pure des coïncidences, que Lee Min Ki était non seulement dans le même pays que lui, mais aussi dans la même ville. Ça l’avait laissé perplexe un instant, alors que des souvenirs, la plupart fort agréables, revenaient titiller son imagination. Simple réflexe, il s’était glissé dans une ruelle sombre, observant à satiété tout en étant protégé par l’ombre et la distance. Du moins, jusqu’à ce qu’il voit Minki lever légèrement la tête, comme pour humer l’air. Lui aussi semblait perplexe… et du coup, Haruya comprend. Son parfum. Ce damné parfum qu’il n’avait pas changé depuis que Minki le lui avait offert ce flacon. Enfin, pas « ce » flacon. Un autre. Mais il en avait toujours racheté…

Alors rapidement, adroitement, Haruya se glisse plus loin dans la ruelle. Il a un regard rapide pour les alentours… et la grille qui bloque la seule sortie possible ne lui fait pas peur. Il la grimpe habilement, puis disparaît dans l’air frais de ce petit matin de mars, juste avant que le soleil ne se lève. Il leur restait quoi ? Une heure pour jouer au chat et à la souris ? Ses pas sont rapides et aussi silencieux que possible. Jamais assez pour fuir et traquer un vampire tout à la fois néanmoins et c’est en puisant dans des trésors d’imagination et de connaissances approfondies de Séoul que le Japonais réussit à faire son chemin jusqu’à un des palais impériaux sans être vu. Les barrières de sécurité posées là après les heures d’ouverture ne l’empêchent pas d’y pénétrer. Son cœur bat fortement. Il est à la fin de ses ressources. Ou du moins, il aura besoin d’une brève pause pour repartir s’ils continuent…

D’ailleurs, il baisse un peu trop sa garde soudainement et entend le vampire se rapprocher de justesse. Il tourne l’angle d’un mur, certain qu’il a été entraperçu. Assez pour que Minki redouble d’ardeurs derrière lui. Alors Haruya attrape quelques briques et décorations architecturales saillantes sur un mur et se hisse sur un petit toit pas très haut. De là, il attend, patient, tapis, sachant qu’il doit agir vite s’il ne veut pas être remarqué avant de surprendre. Ça se joue probablement à une fraction de seconde. Il voit presque Minki lever la tête déjà quand il saute au sol, juste devant le vampire. Leur regard se croise. Il y a une brève intensité créée par la spontanéité du moment, par la surprise du côté de l’autre vampire aussi. Haruya comprend qu’il avait refusé d’y croire complètement jusqu’à le voir…

Alors profitant de ce bref moment de battement entre eux, le Japonais plaque le vampire contre le mur du palais impérial et avec toute sa fougue naturelle, son culot et cette petite dose de bagout qu’il possède, il vient chercher un baiser haut en couleur sur les lèvres de Minki. Il l’approfondit sans attendre, sachant de toute façon que le moment sera bref… mais ça vaut toutes les conséquences à venir, il en était sûr. Parce que comme dans son souvenir, les lèvres de Minki sont douces et chaudes, signe qu’il avait bu. Pas que du sang, parce qu’il y récolte quelques arômes d’un alcool inconnu, peut-être chinois. Il sortait de la Lanterne Bleue, après tout… Aventurier, il glisse déjà ses mains sur les hanches de Minki, attrapant là le bas de la chemise pour la sortir de ses pantalons dans le but avoué de glisser les mains sur l’épiderme qu’il sait déjà doux…

Haruya ne doutait vraiment de rien. Certaines choses ne changeaient pas. Pas même avec les années…!

Minki n’avait pas été à la lanterne bleue parce qu’il en connaissait le patron. En fait il n’y avait même pas été parce qu’il y connaissait qui que soit, un habitué ou un occasionnel… Il y avait été pour un moment de détente loin de son propre casino. Pas qu’il ne trouvait pas dans son établissement tout ce qu’il pouvait bien désirer mais parfois avoir un « autre décors » était une bonne chose pour se vider la tête.

Pendant plus d’une heure il s’était posé dans une alcôve tranquille pour regarder le fond du verre de scotch qui lui avait été servit et réfléchir. En ce moment, c’était à son complexe hôtelier qu’il pensait de manière quasi obsessionnelle et en même temps, ce projet en était un de longue haleine. Permis de construire, arrangement parfois un peu sous la table avec la municipalité, problèmes de livraison, objection des architectes ou des maîtres de chantier… La vraie raison qui faisait que Minki ne s’était pas découragé c’est qu’outre sa grande ténacité il était familier de ces gros œuvres. Après tout ses casino -ici ou ailleurs- ne s’étaient pas fait en un jour. Et lui… Disons qu’il avait tout son temps, tout simplement.

Finalement lorsqu’il était sorti, Minki avait pu constater que le vent s’était levé. Rien d’inhabituel en soit, surtout à cette période de l’année. Mais cette nuit, il y avait bel et bien eu quelque chose de différent…

Au début il avait cru l’avoir halluciné… Et puis dans une nouvelle bourrasque, il l’avait senti à nouveau et son pas n’avait pas seulement ralentit : il s’était arrêté. Minki avait légèrement relevé la tête, comme pour mieux apprécier le parfum qui s’était rendu jusqu’à ses narines. Il le connaissait bien : il avait passé un temps honteux à le choisir pour son dernier amant sérieux. Un mélange d’épice qui avait su faire ressortir le parfum naturel du corps de ce trop jeune homme dont il s’était épris un autre hiver mais dans cette même vie…

Haruya ? Impossible. Et pourtant sa curiosité était piquée. C’était ce qui l’avait poussé à soudainement rebrousser chemin pour tenter de percer à jour celui qui s’était caché, ne laissant paraître de lui que ce parfum-là. C’était un bon coureur… Et il était agile. Une partie de Minki avait été confortée dans l’identité de celui qu’il poursuivait mais l’autre moitié de lui ne voulait s’y résoudre. Et s’il l’attrapait, que ferait-il de toute façon ?

Minki n’a pas vraiment le luxe d’y réfléchir. Tandis qu’il pense avoir rattraper celui qu’il poursuivait voilà qu’une tornade décolorée atterrit pile devant lui. Un mètre cinquante de moins et c’est sur lui qu’il bondissait ! La surprise est réelle, sincère… C’était bien Haruya. Le peu d’années qu’il avait pris depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vu l’avaient très bien servi. Il était toujours grand, toujours athlétique. Félin même, oserait-il dire. Et toujours cette insolence qui se lisait sur son visage sans même qu’il ne dise rien. Comment s’était-il laissé piégé par cette attitude exactement ? Il ne saurait même pas le dire.

Mais à nouveau Haruya joue de surprise. A peine le temps de dire ouf qu’il se retrouve dos au mur, sans douceur. Mais le japonais avait toujours su que ses limites étaient très loin ! Il avait toujours su faire grimper l’adrénaline en lui… Et un instant, une seconde à peine, Minki se sent répondre à ce baiser qui, s’il avait eu besoin de respirer, l’aurait essoufflé. Sa main remonte même dans la nuque de ce petit impertinent qui avait toujours trop bien su -peut-être même sans le faire exprès ! - lui rappeler ces mers déchaînées qui l’avaient grisées par le passé.

Les mains du membre de l’Ordre tentent de se frayer un chemin sous ses vêtements… Mais là, Haruya présumait un peu trop de ses capacités !! La main de Minki se durcit contre la nuque du jeune homme et, ni une ni deux, il vient lever le genou pour en donner un bon coup pile sur l’entre-jambe de son ancien amant !

Pas assez fort pour réellement faire des dommages… Mais bien assez pour le contraindre à tomber à genoux, les deux mains plaquées sur la zone douloureuse ! Reprenant sa contenance, Minki fronce les sourcils en toisant un peu le jeune homme.

« Je peux savoir ce que tu croyais être en train de faire ? »

Il grogne, remettant un peu d’ordre dans les vêtements qu’Haruya avait désordonné !

« Qu’est-ce que tu fais en Corée ? »

Minki avait peut-être pensé un tout petit instant que le jeune homme l’avait suivi avant de se raviser. Du temps avait coulé sous les ponts depuis qu’il avait lui-même quitté Sapporo et il aurait -il l’espérait en tout cas- repéré Haruya avant ce soir !

« Tu réfléchis jamais ? Et si je t’avais tué ? On n’a pas idée de surprendre les gens comme ça ! »

Et malgré tout :

« Pourquoi tu m’espionnais ? Pour le compte de l’Ordre ? Xiao ? »

Il l’avait mauvaise avec l’Ordre donc bon…

« J’ai toujours cru que malgré tout ce n’était pas ta meilleure amie… »

Visiblement il s’était trompé sur ça aussi.

Le coup est foudroyant. Sûrement pas autant qu’il aurait pu l’être, parce que vu la condition vampirique de Minki, nul doute que Haruya aurait pu souffrir davantage et à long terme de cet échange délicat ! Mais il n’en voit pas moins une multitude d’étoiles en même temps qu’il en perd le souffle. Pas un bruit ne franchit le seuil de ses lèvres, si ce n’est ce fameux souffle qui lui échappe. Son dos rencontre le mur du palais impérial, mais il ne s’en rend même pas compte alors qu’il glisse lentement le long de celui-ci jusqu’à atteindre le sol sans plus de dégâts. Ses mains se sont soigneusement posées là où jamais aucun coup ne devrait être porté. Il en fallait si peu pour mettre un si bon guerrier au tapis, parfois…! Haruya plaiderait toutefois non coupable sur ce coup-là. Quand il allait pouvoir. Pour le moment, Minki s’égosillait tout seul et ne trouvait pas de réponse de son côté. Et s’il tente de s’approcher, nul doute qu’il se fait repousser avec perte et fracas, dans les capacités dont le grand Japonais disposait encore !

Même après avoir repris ses esprits, Haruya garde le silence une petite minute de plus. Ou une longue minute. Quand on parlait de silence, une minute c’était toujours long. Son regard colérique et plein de reproche est posé sur le vampire en face de lui. Quel culot… Mais la raison pour laquelle il ne parle pas, c’est qu’il veut être sûr qu’il ne grimpera pas dans les aigus, ce qui finirait clairement de tuer sa fierté masculine à grand coups de mauvais souvenirs cuisants ! Lorsqu’il suppose que tout doit être sur contrôle, après tout c’était sa première désagréable expérience en la matière, les lèvres rebondies s’ouvrent sur quelques propos pleins de reproches mérités.

« Vu comment t’as répondu, je faisais exactement ce que tu avais envie que je fasse ! », s’exclame Haruya, regard noir posé sur son vis-à-vis. Il est toujours au sol et compte bien y rester un petit moment encore…! Peu importe le froid qui se glissait sous ses vêtements à présent. Au pire, ça ne pouvait pas faire de tort à un certain endroit… « T’as quand même foutrement du culot de m’attaquer comme ça alors que clairement, c’est contre tes propres intérêts ! La prochaine fois que tu me parles de ma fierté mal placée, attends-toi à te faire rappeler ce moment-là ! Hypocrite. »

Eh, il ne méritait rien de mieux !

« Pourquoi est-ce que tu m’aurais tué ? Tu savais très bien sur les traces de qui tu étais. Je t’ai vu humer l’air. C’est qui qui a l’air con, maintenant ?! », lance Haruya, sûr de ce qu’il avançait. Non seulement parce qu’il avait vu le geste, mais aussi parce qu’il connaissait tendrement Minki. « T’espionner ? T’as encore la folie des grandeurs, je vois ! Je suis pas un espion. Je suis un guerrier. Je tiens pas mes ordres de Xiao, mais de Jang Ahn Jae. »

Et il en était fier, c’était évident. Bien plus fier que tout ce qu’il avait pu faire pour l’Ordre lorsqu’il était encore au Japon. Ça ne se comparait pas. Haruya bouge un peu, comme pour tester la température, mais un grognement sourd se fait entendre. Et merde… encore un petit peu de temps…

« J’étais aussi surpris que toi de te tomber dessus… Je savais même pas que tu étais revenu en Corée. », assure-t-il, moins énervé. Il ferme les yeux, preuve que malgré tout, il faisait confiance à Minki. En même temps, si ça n’avait pas été le cas, toute cette scène n’aurait jamais eu lieu. Ça aurait peut-être mieux valu ! « J’ai emménagé ici il y a quelques temps… Quitté le Japon et la famille. C’est pas plus mal. C’est pas le même Ordre… »

Alors meilleure amie, non sûrement pas. Mais il y avait Ahn Jae et il lui était fidèle jusqu’à la mort. L’Ordre ? Pas tant que ça, non…