La douce et la jolie métisse passe des journées paisibles depuis quelque temps. Même si elle a eu un raté récemment, elle s'en remet bien. Elle s'enfonce à nouveau dans ses mauvaises habitudes, au milieu des bonnes. Oui, parce qu'elle en a quand même quelques-unes. Elle danse beaucoup, et elle travaille aussi. L'avantage de son boulot, c'est qu'en échange d'un peu d'attention, le barman ne remplit pas ses verres d'alcool, ce qui lui évite de détruire son foie à petit feu. Elle aime ça. Cela lui permet de profiter de tous les avantages, sans le principal inconvénient. Personne ne s'en rend compte, et tout le monde en profite au final. Et cela lui permet d'éviter de se retrouver enivrée au milieu de clients pas toujours très gentlemen, même si son patron essaie de veiller sur ses employées. Elle a fini par s'habituer à sa vie ici, bien différente de ce qu'elle a toujours connu. Mais elle a encore du mal à se sentir chez elle. Il y a quelque chose qui cloche. Quelque chose qui lui manque. Un vide qu'elle n'arrive pas à combler, bien qu'elle essaie vraiment de le faire. De la mauvaise façon sans doute, mais ça, elle ne le réalise pas.
Encore une fois, Shiori se retrouve ici, à la faveur de la nuit. Elle aime cet endroit. En journée, il est magnifique. Empli de paix et d'harmonie. Un petit écrin de nature au milieu de la ville pas très loin de chez elle. Elle vient souvent ici. Elle vient courir. Elle vient se promener. C'est un bon endroit, plein de bonnes ondes. Elle aime bien regarder les gens qui passent. Et elle y amène même certains de ses clients lorsqu'ils ont besoin d'une pause dans leur vie effrénée. Mais la nuit, il revêt une apparence tout à fait différente. Chaque ombre représente un monstre de son passé, de ses angoisses. Un espace inquiétant qui peut abriter n'importe qui. Chaque ombre représente une amie, affectueuse et n'appelant qu'à être découverte. Apprivoisée, et amadouée. Shiori n'a jamais peur. Elle aime ça dans le fond. Découvrir. Avancer dans les ombres, même si cela devrait l'effrayer. Elle avance toujours sans crainte. Elle aime cet endroit. Elle aime ce qu'elle vient y chercher. Ce qu'elle y trouve. Ce soir, comme parfois, lorsqu'elle n'a pas accès à un vampire qu'elle connaît bien, elle vient. Mais ce soir, elle y vient pour voir quelqu'un qu'elle connaît au moins un peu. Un vampire qui ne risque pas de la tuer, mais pas un habitué. Pas encore. Alors elle l'attend. Elle sait qu'il viendra. Ils viennent tous.
Sauf qu'une voix s'élève. Une voix qu'elle ne connaît que trop bien. Elle relève le nez, et regarde dans la direction où il est :
« Haruya ». Haruya. Son grand frère. Elle se demande ce qu'il fait là. Elle se demande pourquoi il est là. La coïncidence est étrange. Elle fronce les sourcils et penche la tête :
« Qu'est-ce que tu fais là ? Est-ce que tu m'as suivie ? ». Cela ne lui plairait que moyennement. Pas qu'elle soit contre ses aspects protecteurs, mais tout de même. Elle n'a pas vraiment demandé à être surveillée de cette façon. Elle sait qu'il est sérieux. Elle n'a pas besoin de le voir avec précision. Elle a juste besoin de l'entendre. De savoir comment il lui parle pour savoir qu'il n'est pas aussi léger qu'à son habitude. Elle le laisse venir à elle, et alors qu'il le fait, il sort l'une de ses armes. Shiori se redresse subitement plus tendue. Il est le premier à parler. Elle sait qu'il ne plaisante pas. Elle sait de quoi il est capable. C'est un Rosenbach. Il a été formé par leur grand-père. Il appuie sa demande encore une fois.
Shiori anticipe les mouvements de son frère et se déplace, pour se mettre entre les deux. Elle se doute qu'il ne va pas apprécier, mais elle le fait tout de même. Elle porte un bref regard vers l'arrière. Elle sait. Elle sait que pour ce soir, elle devra y renoncer. Ca l'ennuie, mais si elle fait un faux pas, son frère réagira. Elle ne veut pas de ça. Ni de sa colère contre un vampire qui n'a rien fait, ni de sa colère contre elle. Alors sans un mot, elle donne un coup de tête vers la sortie du parc. Elle imagine qu'il comprendra que ce n'est finalement pas le bon moment. Elle se tourne à nouveau vers son frère :
« Range ton arme. Tout de suite ». Elle ne laisse pas le temps d'appuyer sa demande comme il vient de le faire. Elle croise les bras.
« On ne va pas faire ça. Tu ne vas pas faire ça ». Cela serait sans doute terrible si le faisait. Shiori sent sa gorge se serrer, à mesure qu'une boule d'angoisse est en train de se former dans son ventre. Elle le regarde. Elle le sonde. Elle se demande s'il se rend bien compte de ce qu'il est en train de faire. Mais elle s'avance vers lui finalement et pose sa main sur la poignée de son arme :
« S'il te plaît Haruya... ». Il est grand. Vraiment grand, plus grand qu'elle. Mais il ne l'effraie pas. C'est plutôt ce qu'il représente en cet instant. Les mauvais souvenirs de cette famille qui est la leur. Les mauvais souvenirs de son passé, de ce qu'elle a perdu. Mais elle essaie de ne pas se laisser engloutir, elle lui offre un sourire, un sourire doux et chaleureux, empli de toute la tendresse qu'elle a pour lui.